Des sénateurs américains veulent protéger le secret professionnel des journalistes
Washington — Le Sénat américain envisage de protéger le secret professionnel des journalistes à la suite d'une affaire d'outrage au magistrat qui a envoyé en prison une journaliste du New York Times qui refusait de révéler ses sources à un procureur enquêtant sur une fuite gouvernementale.
«Malheureusement, le libre flux d'informations pour les citoyens des États-Unis est menacé», a affirmé le républicain Richard Lugar, auteur d'un projet de loi sur la protection des sources. «Forcer des reporters à témoigner, et particulièrement à révéler l'identité de leurs sources confidentielles, en l'absence de circonstances exceptionnelles, nuit à l'intérêt public», a affirmé M. Lugar lors d'une audition sur l'opportunité de son texte.Selon cet influent président de la commission des Affaires étrangères, l'état actuel du droit peut faire hésiter les détenteurs d'informations compromettantes à se confier, «empêchant les journalistes de fournir les informations auxquelles les citoyens ont droit».
M. Lugar avait déposé son projet de loi dès le mois de février, et des textes sensiblement identiques sont défendus par des démocrates. Mais le débat a été ravivé par l'affaire d'une agente de la CIA, Valerie Plame, démasquée par une fuite gouvernementale potentiellement criminelle.
Alors que tous les soupçons se portent actuellement sur le rôle joué par le conseiller présidentiel Karl Rove, qui avait évoqué Mme Plame avec un journaliste de Time, la seule personne incarcérée dans le cadre de cette affaire est la journaliste du New York Times Judith Miller, qui paradoxalement n'avait pas consacré une ligne à l'affaire. Mme Miller est en prison depuis le 6 juillet pour outrage au magistrat pour avoir refusé de coopérer à l'enquête en révélant ses sources.
Son confrère William Safire, un éditorialiste conservateur, a apporté toute sa verve à la défendre hier, dénonçant la propension selon lui de plus en plus répandue des magistrats à sanctionner lourdement des journalistes décidés à tenir leurs promesses de confidentialité.
«La liberté qu'a la presse de publier des informations sans contrainte n'est pas en cause, mais ce qui est attaqué, c'est ce qui précède la publication, la capacité des journalistes à collecter l'information», a expliqué cette figure respectée du journalisme depuis une trentaine d'années. «Cela jette un froid sur le réseau de contacts utiles et d'amitiés véritables qui se développent au fil des ans entre de nombreux journalistes et des politiciens», estime M. Safire. Désormais, «beaucoup d'entre nous réfléchiront à deux fois à ce qu'on se dit en privé».
Le journaliste de Time Matt Cooper, qui était menacé de prison pour les mêmes raisons que Mme Miller, avant de s'estimer délié de sa promesse de confidentialité et de collaborer à l'enquête, a également imploré les élus de légiférer. «Sans des sources ayant approché des reporters en toute confiance, nous n'aurions peut-être rien su de l'étendue du scandale du Watergate ou des tromperies d'Enron», a-t-il dit.
Le président de la commission des Affaires judiciaires, Arlen Specter, a souligné que la confidentialité des sources est un principe garanti dans 31 des 50 États américains, ainsi que dans la capitale Washington. Toutefois, ce secret professionnel n'est pas reconnu dans le cadre d'une enquête menée au niveau fédéral, comme l'est celle qui vaut la prison à Mme Miller.