L’avenir de la radio au Québec, «un véritable enjeu culturel»

La radio fait désormais face à une concurrence féroce dans l’habitacle des voitures, où elle avait autrefois le quasi-monopole de notre attention.
iStock La radio fait désormais face à une concurrence féroce dans l’habitacle des voitures, où elle avait autrefois le quasi-monopole de notre attention.

Plus que jamais, la radio fait face à une concurrence féroce dans ses efforts pour convaincre les auditeurs de lui tendre l’oreille, au moment où les plateformes offrant du contenu destiné à stimuler notre ouïe se multiplient. Or, la survie de ce média représente « un véritable enjeu culturel », en particulier au Québec, relève un des auteurs d’une étude qui se penche sur le sujet.

En 2024, les Canadiens consacreront 45 minutes d’écoute de plus par jour à des contenus radio et audio qu’en 2012, selon les résultats de divers sondages cités dans l’étude Les habits neufs de la radio, dirigée par le Pôle médias HEC Montréal. Le document de 82 pages, publié lundi, se base sur une soixantaine d’entrevues réalisées avec des dirigeants de radiodiffuseurs ainsi que des experts d’Amérique du Nord, notamment du Canada, et d’Europe.

En parallèle, l’offre de contenu disponible pour les auditeurs s’est décuplée avec l’arrivée, entre autres, des balados, des livres audio et des plateformes d’écoute de musique en continu, comme Spotify et Apple Music. Dans ce contexte, les stations de radio voient une part de plus en plus grande de leurs temps d’écoute s’envoler, au profit des plateformes concurrentes. Car, au final, il n’y a que 24 heures dans une journée, rappelle le directeur de Pôle médias HEC, Sylvain Lafrance, en entrevue avec Le Devoir.

« La radio n’est pas menacée, mais elle pourrait faire face à une concurrence qui est beaucoup plus grande et à des formes nouvelles aussi », constate l’expert. Selon cette étude, 86 % des Canadiens écoutent encore la radio AM/FM sur une base hebdomadaire, soit 6 % de plus que la moyenne notée aux États-Unis.

Le nombre de minutes accordées quotidiennement à la radio traditionnelle par les Canadiens est toutefois en baisse, une situation qui n’est pas étrangère au fait que la radio fait désormais face à une concurrence féroce dans l’habitacle des voitures, où elle avait autrefois le quasi-monopole de notre attention, outre les désormais vétustes CD. Selon un sondage mené cette année et cité dans cette étude universitaire, 26 % des Nord-Américains possèdent un véhicule équipé d’un tableau de bord connecté offrant de nombreuses autres options que la radio traditionnelle, comme l’écoute de livres audio ou de musique en continu.

Contrairement à la télévision, par ailleurs, le milieu de l’audio est beaucoup plus compétitif, notamment parce que les freins réglementaires et financiers à la réalisation de contenu de ce type sont moins présents, relève M. Lafrance. Il est en effet beaucoup moins coûteux et complexe de réaliser un balado qu’une émission de télévision, illustre-t-il. « C’est tout ça qui fait en sorte que la radio est entrée dans un nouvel écosystème, et il faut faire en sorte que les dirigeants de cette industrie comprennent ça et créent de nouvelles alliances, des modèles d’affaires qui survivent à cette transition », relève l’expert.

Un enjeu culturel

 

L’étude montre d’ailleurs que le déclin du temps accordé par les auditeurs à la radio traditionnelle, au profit d’options offertes entre autre part des géants du numérique, a fait perdre 518 millions de dollars en revenus publicitaires aux radiodiffuseurs canadiens en l’espace de 10 ans. Or, la survie de la radio pose « un véritable enjeu culturel », en particulier au Québec, où elle demeure un important vecteur d’information locale en français, en plus d’offrir une vitrine aux artistes d’ici, relève M. Lafrance.

L’étude montre d’ailleurs que les jeunes de moins de 25 ans consomment davantage de contenu audio au quotidien que la population plus âgée. Ils sont toutefois « très perméables à du contenu anglophone, donc ce n’est pas certain qu’ils vont écouter nos contenus québécois », souligne l’expert. « Et ça, c’est un véritable enjeu », ajoute le professeur, qui demande aux pouvoirs publics de s’intéresser davantage aux mesures à prendre pour soutenir la radio traditionnelle et l’information locale qu’elle diffuse.

« Un média qui est aussi important dans notre vie de tous les jours risque de s’affaiblir au profit de grands concurrents américains, donc il y a une vraie réflexion à avoir là-dessus », affirme le coauteur de l’étude, qui a mené cette dernière avec sa collègue Louise Hélène Paquette.

Plusieurs options s’offrent aux radiodiffuseurs qui souhaitent conserver l’intérêt des auditeurs. Ils sont d’ailleurs plusieurs au Québec à proposer des balados particulièrement populaires auprès des 18 à 34 ans. « Tous les dirigeants interviewés ont classé la production de balados comme l’innovation centrale. Pour eux, le balado représente une nouvelle forme d’expression différente de la radio en direct, ayant la possibilité de toucher des publics nouveaux », note l’étude.

Certaines stations de radio ont pour leur part décidé de miser sur l’information locale pour attirer l’attention de leurs auditeurs, tandis que d’autres diffusent du contenu vidéo en ligne pour accompagner certains segments de leurs émissions. Et des radiodiffuseurs commencent à miser sur l’intelligence artificielle pour augmenter la capacité de certaines stations à générer du contenu.

« Le numérique, ça a entraîné une métamorphose complète des technologies, des plateformes de diffusion, des usages, donc les radiodiffuseurs doivent en tenir compte s’ils souhaitent conserver leurs parts de marché dans un marché qui est beaucoup plus éclaté qu’avant », résume Sylvain Lafrance.

À voir en vidéo