La Cour annule le blâme du CRTC contre Radio-Canada pour l’utilisation du mot en n

La Cour d’appel fédérale a annulé la décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) qui avait accueilli une plainte d’un auditeur blâmant Radio-Canada d’avoir diffusé le mot en n en ondes lors d’une chronique à la radio il y a trois ans.
L’organisme de réglementation fédéral reprochait à la société d’État d’avoir indûment offensé son auditoire lorsque le titre d’un livre de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, avait été prononcé en ondes quatre fois.
Cette décision du CRTC est entachée de deux erreurs, indique la Cour d’appel fédérale dans son jugement rendu jeudi.
D’abord, l’organisme a outrepassé sa compétence en se basant uniquement sur la politique canadienne de radiodiffusion, et non pas sur les règles de conduite qui balisent ce qui peut être dit en ondes.
De plus, le CRTC a complètement omis de considérer le droit à la liberté d’expression, dont bénéficient tous les radiodiffuseurs.
Le dossier est ainsi retourné au CRTC pour que ce dernier se prononce à nouveau sur le bien-fondé de la plainte, selon le droit applicable et « après avoir dûment soupesé l’impact que sa décision pourrait avoir sur la liberté d’expression de la Société Radio-Canada (SRC) », est-il écrit dans le jugement.
Plainte contre une chronique
Toute cette affaire a commencé par une chronique diffusée lors de la populaire émission de radio Le 15-18. En août 2020, le chroniqueur Simon Jodoin a présenté un segment sur le sujet « Certaines idées deviennent-elles taboues ? ». La chronique en question faisait notamment référence à une pétition exigeant le renvoi d’une professeure de l’Université Concordia qui avait évoqué en classe le livre de Pierre Vallières par son titre.
Un auditeur a porté plainte, condamnant l’utilisation du mot en n sur les ondes radiophoniques. Après des démarches au sein de Radio-Canada — et un premier rejet de la plainte par son ombudsman —, c’est le CRTC qui a finalement été saisi du dossier.
En juin 2022, il a jugé la plainte bien fondée, retenant que le contenu diffusé sur les ondes « va à l’encontre des objectifs et valeurs de la politique canadienne de radiodiffusion ».
Bien que le CRTC ait reconnu que le mot en n n’a pas été utilisé de manière discriminatoire, il s’est néanmoins dit insatisfait de la manière dont le propos a été traité dans la chronique. Il estime que la SRC aurait dû prendre toutes les mesures nécessaires afin d’atténuer l’impact du mot sur l’auditoire, notamment en ne le répétant pas et en faisant une mise en garde claire au début de la chronique.
Selon le CRTC, la SRC n’a pas fait preuve de suffisamment de prudence et de vigilance dans la façon dont elle a traité le propos, ce qui a pu avoir un effet néfaste sur son auditoire, notamment la communauté noire.
« Grave erreur »
La SRC s’est fait ordonner de se conformer à quatre mesures, dont présenter des excuses à l’auditeur. Elle y a donné suite, mais a néanmoins porté en appel la décision, qui constituerait selon elle une « grave erreur », voire une « menace » pour l’indépendance journalistique au pays.
Plusieurs voix du milieu des médias se sont élevées pour dénoncer la décision du CRTC, disant craindre qu’elle ne crée un précédent et que l’organisme fédéral se permette à l’avenir de juger du contenu diffusé en ondes.
Dans sa décision, la Cour d’appel fédérale convient que le CRTC a validement établi des règles de conduite qui offrent des balises sur ce qui peut être dit — ou pas — en ondes et qu’il peut effectivement sanctionner les manquements.
Sauf qu’ici, le CRTC n’a tiré aucune conclusion en fonction de ces règles de conduite : il s’est uniquement basé sur la politique canadienne de radiodiffusion — or, il n’a pas ce pouvoir, écrit la Cour.
De plus, poursuit-elle, la loi doit être interprétée de manière compatible avec la liberté d’expression et l’indépendance de création et de programmation, en matière de journalisme, dont jouissent les radiodiffuseurs.
Ce que le CRTC n’a pas fait : « la décision ne fait aucune mention de la liberté d’expression de la SRC », et le dossier ne laisse voir d’aucune façon que les décideurs majoritaires auraient été « conscients » de leur obligation de veiller à ce que la liberté d’expression de la SRC ne soit pas restreinte plus que nécessaire.