H&L Média, un réseau québécois du piège à clics

On les appelle « clickbait », « piège à clics » ou parfois même « putaclics ». Les réseaux sociaux regorgent de ces sites qui, pour attirer l’attention des internautes, misent sur des titres volontairement outranciers qui souvent ne reflètent pas le propos des textes. Ce que l’on ignore, c’est qu’une bonne partie de ces contenus au Québec sont produits par la même entreprise, qui doit sa croissance spectaculaire des dernières années entre autres à une main-d’oeuvre bon marché, payée parfois moins de 5 $ par article.
Peu de gens connaissent le nom de H&L Média. Pourtant, la compagnie se targue de générer plus de deux millions de clics quotidiennement grâce à ces différentes plateformes, comme Marqueur, Fanadiens, Noovelles, L’Informateur ou encore ToutQc.
La compagnie a également acquis des groupes et des pages Facebook disposant d’un énorme rayonnement, comme Spotted : Montréal, qui compte 120 000 mentions J’aime. Ces espaces, qui avaient une tout autre fonctionnalité au départ, servent maintenant à mousser les contenus que la compagnie produit. Ainsi, des milliers de Québécois sont aujourd’hui exposés aux articles des sites de H&L sans l’avoir demandé.
« Ils ont compris mieux que quiconque, et surtout mieux que les médias traditionnels, comment les réseaux sociaux fonctionnent. Si c’est vrai qu’ils ont un trafic de deux millions [de vues] sur leurs pages, ils doivent faire de l’argent comme de l’eau avec la publicité de Google », souligne un concurrent, qui n’a pas voulu être nommé pour ne pas nuire à son entreprise, mais qui reconnaît que H&L Média est en train de supplanter les autres groupes qui ont aussi adopté le piège à clics comme stratégie.
Croissance effrénée
Il y a quelques années, l’expression « clickbait » était surtout associée à des sites comme Monde de stars ou encore Grands Titres, qui ont été achetés en 2016 par la boîte de production Attraction. À l’époque, Marc Ouimet et Patrick Dragon opéraient encore chacun de leur côté un blogue sur le Canadien. Ils ont uni leurs forces à l’été 2020 pour former H&L et depuis, leur compagnie n’a cessé de prendre de l’expansion.
Aujourd’hui, le tandem gère des dizaines de pages et de sites, dont plusieurs sont consacrés au hockey et aux pools sportifs. H&L a notamment été associé jusqu’à l’an dernier à La poche bleue, le balado sportif le plus écouté au Québec. Les deux hommes d’affaires ont également étendu leurs activités aux sites à potins. H&L a fourni des services pour Qc Scoop, une page rassemblant plus de 200 000 abonnés sur Instagram qui a bâti sa réputation en relayant des ragots sur les influenceurs. Le créateur de Qc Scoop, Simon Waddell, a tenu à préciser jeudi matin qu’il restait l’unique détenteur de son média, H&L Média ayant seulement offert un gabarit pour son site Web, a-t-il expliqué.
Pour ce qui est des différents sites liés directement à l’entreprise, le contenu est écrit la plupart du temps par des pigistes, des « blogueurs », comme les nomme H&L Média, même si ces derniers ne sont pas appelés à donner leur opinion ni même à dénicher des histoires originales. Ils ont en fait plutôt le mandat de réécrire des nouvelles dénichées sur d’autres sites pour en faire des textes assez rudimentaires d’une centaine de mots à peine.
Ceux qui ont travaillé pour H&L rapportent que leur tâche consistait essentiellement à trouver des titres qui sont assez accrocheurs pour que les internautes ne puissent s’empêcher de cliquer dessus. Alex Déry, un expert en sinistre de la région de Québec, se souvient avoir été payé 2 $ l’article à ses débuts en 2018 pour le site Habs et LNH, qui était alors la propriété de Patrick Dragon exclusivement, avant que ce dernier ne s’associe à Marc Ouimet.
« Au début, quand tu commences, tu n’es pas vraiment au courant de la valeur d’un article. Je le faisais surtout pour le plaisir parce que le hockey, c’est ma passion. Ce n’était pas ma principale job. Mais au fil du temps, tu réalises à quel point ils font de l’argent avec ça. Tu as un peu l’impression de t’être fait avoir », témoigne Alex Déry, qui a cessé de collaborer avec H&L Média il y a un an. Il était alors rémunéré 5 $ par article.
Payés « des pinottes »
Le Devoir a pu s’entretenir avec quatre autres anciens collaborateurs de H&L Média. S’ils ont tous demandé que leur anonymat soit préservé par crainte de représailles, ils confirment que le salaire des « blogueurs » oscille en règle générale autour de 5 $ par article. Ils racontent aussi que les pigistes sont sous pression pour rédiger le maximum d’articles le plus rapidement possible. Certains se souviennent avoir été tenus d’écrire au moins un article par jour, sept jours sur sept.
« Je me rappelle m’être déjà levé à 4 h du matin pour écrire mon article obligatoire, car je n’avais pas le temps le reste de la journée. J’étais étudiant, et mon objectif, c’était de vivre de ma passion, le hockey. Je savais que ce n’était pas un gros salaire, mais je pensais que ça allait m’ouvrir des portes. Au bout d’un an et demi, je me suis bien rendu compte que ça n’avait pas d’allure. Je voyais aussi qu’il n’y avait pas de possibilités d’avancement. Tout ce qu’on faisait, c’était de copier des articles trouvés ailleurs pour changer le titre. On prenait les lecteurs pour des imbéciles », regrette un ancien rédacteur.
Nous n’avons pu confirmer si ces conditions sont toujours en vigueur. Mais dans la section « termes et conditions » des sites Web de H&L, il est toujours écrit qu’un blogueur est considéré comme un « entrepreneur indépendant », qui reconnaît n’avoir droit à « aucun salaire » et à « aucune rémunération ».
La compagnie semble aussi faire porter la responsabilité aux blogueurs en cas de poursuite. On peut lire sur les sites opérés par H&L : « les opinions et autres déclarations de nos utilisateurs et des tierces parties (comme les blogueurs) leur appartiennent et ne sont pas les nôtres. Le contenu créé par des tiers est l’unique responsabilité de ces derniers, et son exactitude et son exhaustivité ne sont ni approuvées ni garanties. »
Le modèle d’affaires de H&L avait été en partie exposé pour la première fois en janvier 2021 lorsque l’entrepreneur Olivier Primeau avait indiqué dans une publication chercher des chroniqueurs pour son site Beach News Everyday, moyennant une rétribution de 5 $ par article, ce qui avait soulevé l’ire dans le milieu journalistique. H&L était à l’époque lié au site d’Olivier Primeau, qui dit avoir mis fin à sa relation d’affaires avec l’entreprise il y a deux ans.
Nous avons sollicité à maintes reprises les deux propriétaires de H&L Média pour une entrevue téléphonique. Patrick Dragon a répondu qu’ils étaient débordés à cause des préparatifs de la prochaine saison de hockey, qui ne commence pourtant qu’en octobre.
Une précédente version de ce texte suggérait que Qc Scoop appartient à H&L Média. Selon le créateur de la page, toutefois, H&L n'en est pas le propriétaire, mais est plutôt un fournisseur de services.