Du journalisme à la politique, entre éthique et convictions

Martine Biron, Paule Robitaille et Alexis Deschênes ont tour à tour été journalistes avant de se lancer en politique, causant parfois un malaise parmi le public et leurs ex-collègues. Mais sauter la clôture n’a rien de nouveau ni de surprenant, ont-ils plaidé dimanche lors du Festival international de journalisme de Carleton-sur-Mer (FIJC), assurant l’avoir fait par conviction de pouvoir « changer les choses », sans vouloir entacher la profession.
« Un journaliste, ce n’est pas un robot. C’est un professionnel qui tasse ses biais pour faire son travail. Le jour où il se présente en politique, il ne se fait pas greffer des convictions, elles ont toujours été là. Il a juste décidé de jouer un rôle différent dans la société », souligne Alexis Deschênes, ex-candidat péquiste dans Bonaventure.
Celui qui est aujourd’hui avocat était invité par le FIJC pour discuter de la transition controversée du journalisme vers la politique. La ministre des Relations internationales et de la Francophonie Martine Biron et l’ex-députée libérale Paule Robitaille ont aussi partagé leur vécu. Chacun d’entre eux a eu une carrière de journaliste télévisé à TVA ou à Radio-Canada avant de se présenter en politique provinciale.
À leurs yeux, il n’y a rien d’étonnant à ce que des journalistes soient tentés par la politique. Ils sont d’ailleurs nombreux à le faire depuis des décennies, tels que Bernard Drainville, Vincent Marissal, Christine St-Pierre ou encore Jean-François Lisée.
Bien que les journalistes lèvent le voile sur des injustices de la société pour presser les dirigeants à corriger le tir, ils n’ont aucun pouvoir décisionnel entre les mains. Et c’est ce « pas de plus » qui les attire souvent à passer « de l’autre côté du miroir », fait valoir Martine Biron. « La politique, c’est un autre chemin. Je dis souvent qu’en journalisme, tu donnes la voix aux gens. En politique, tu la portes. »,
Métiers connexes
Au-delà de cette volonté commune de changer la société, les deux métiers ont bien d’autres points communs, ont soutenu les trois panélistes. Ils estiment même que leur parcours de journaliste a été un atout pour comprendre et se glisser plus rapidement dans leur rôle de politicien.
« Tout ce que j’ai appris en journalisme, la démarche journalistique, je l’applique en politique dans la cueillette d’informations pour arriver à prendre une décision », donne en exemple Mme Biron.
L’écoute est aussi un aspect du métier de journaliste que Mme Robitaille a exporté dans son métier de politicienne, lorsqu’elle siégeait à l’Assemblée nationale de 2018 à 2022. « En journalisme, tu écoutes, tu prends des notes et tu développes une certaine empathie. Comme politicien, c’est aussi super important, tant avec les citoyens que dans les commissions parlementaires. »
La rigueur dans la recherche des faits et la capacité de vulgariser les informations rapidement est aussi un gros avantage pour les journalistes qui se lancent en politique, note de son côté Alexis Deschênes. « Ça a beaucoup de valeur dans un parti. »
Sans oublier la notoriété dont jouissent les journalistes, particulièrement lorsqu’ils passent à la télévision. « Ça fait partie du calcul pour un parti politique, assurément, il faudrait être naïf de penser le contraire », insiste-t-il. Martine Biron abonde dans le même sens, mais tient à souligner qu’une « candidature vedette » n’est pas « une garantie d’élection ».
Problème éthique ?
Bien que les métiers de journaliste et de politicien ont des similitudes, le passage de l’un à l’autre soulève à tout coup incompréhension et interrogations au sein du milieu des médias et parfois même du public.
Martine Biron a soudainement décidé l’automne dernier de se présenter sous la bannière de la Coalition avenir Québec, alors qu’elle occupait encore quelques semaines auparavant sa chaise d’analyste à l’Assemblée nationale pour Radio-Canada. La commotion fut telle que la Fédération professionnelle des journalistes du Québec est sortie publiquement pour exprimer plusieurs craintes. Parmi elles, la création d’une confusion chez le public quant à l’indépendance réelle des journalistes. Cet aspect a d’ailleurs été soulevé lors du FIJC.
« Est-ce que j’ai nui à la profession ? Il y a des gens qui pensent que oui. […] Moi, je me regarde très bien devant le miroir. J’estime que j’ai été éthique », a répondu Mme Biron, rappelant avoir refusé systématiquement les propositions de partis provinciaux et fédéraux pendant des années. « Dans ce cas-ci, j’étais en vacances quand l’offre est tombée », ajoute-t-elle, précisant qu’elle se voyait mal revenir comme journaliste pour couvrir la campagne électorale en sachant très bien que l’offre lui a trotté dans la tête plusieurs jours. Elle a donc fini par accepter.
Le milieu devrait-il se doter de certaines règles, comme imposer une période de purgatoire avant qu’un journaliste se porte candidat ? « Moi, je vois mal comment il pourrait y en avoir. Je pense que ceux qui veulent faire ce choix-là, doivent le faire dans des règles éthiques qui leur sont propres. »
Et la question éthique se pose aussi dans l’autre sens, lorsque l’ex-journaliste devenu politicien souhaite retourner dans sa profession initiale. Les trois intervenants n’y voient aucun problème. « Il n’y a rien qui nous empêche de recommencer à raconter des histoires […] si c’est très loin de la politique », soutient Mme Robitaille. Elle a d’ailleurs expérimenté ce retour au journalisme en écrivant plusieurs articles sur la guerre en Ukraine pour La Presse.
« Jean Charest était avocat avant d’être politicien et il est aujourd’hui redevenu avocat, et c’est accepté. Moi, je suis journaliste, je ne pense pas que je vais être autre chose », indique Mme Biron affirmant ainsi sa volonté de revenir dans le milieu, peut-être par la chronique, lorsqu’elle quittera la politique.
Notre journaliste est à Carleton-sur-Mer à l’invitation du Festival.