Manque criant de journalistes en région

Il n’a jamais été aussi difficile de recruter et de retenir des journalistes en région, constatent plusieurs médias francophones à travers le pays, dont Radio-Canada. Mais sans reporter pour les tenir informées des enjeux qui affectent leur quotidien, plusieurs communautés locales se transforment en désert médiatique et perdent leur intérêt et leur confiance envers la presse.
« L’an dernier, pendant plus d’un an, on avait 70 postes affichés non comblés par mois. Et ça, c’est seulement pour les médias régionaux francophones, ça n’inclut pas Montréal, ni CBC », lance Jean-François Rioux, directeur général des médias régionaux à Radio-Canada. Il était invité à prendre la parole samedi lors d’une conférence sur les déserts médiatiques à l’occasion du Festival international de journalisme de Carleton-sur-Mer.
M. Rioux remarque aujourd’hui que de moins en moins de personnes rêvent de devenir journaliste. Et ceux qui souhaitent encore pratiquer le métier viennent très peu des régions et n’ont pas toujours envie de s’y établir à long terme.
« Les gens viennent, mais pour un an ou six mois, avant de repartir vers les grands centres. […] Comme ils ne sont pas de la région, ils ne s’y identifient pas facilement », souligne-t-il, précisant que le taux de rétention à Radio-Canada est présentement de 70 %, ce qu’il juge « insuffisant ».
Le diffuseur public a d’ailleurs commencé à développer des partenariats avec des universités à Moncton, Saint-Boniface, Toronto ou encore Ottawa pour recruter des jeunes qui viennent directement de ces régions, espérant qu’ils choisissent ensuite d’y rester pour pratiquer le métier.
Ce problème de recrutement est loin de toucher uniquement Radio-Canada, et il est tel que des médias locaux finissent par s’arracher les talents. « Je perds deux journalistes par année pour Radio-Canada à Moncton », laisse tomber Gaétan Chiasson, directeur de la salle de rédaction de L’Acadie nouvelle, un quotidien francophone basé à Caraquet, au Nouveau-Brunswick. À quoi Jean-François Rioux s’empresse de répondre : « Et eux quittent ensuite pour Montréal. On est dans le même bateau. »
Le défi est le même à La Voix acadienne, le seul journal francophone à l’Île-du-Prince-Édouard. « Ma directrice est proche de la retraite, mais elle ne trouve pas de successeur. Pourtant, ce n’est pas faute de chercher. On peine aussi à recruter des jeunes journalistes. C’est une grosse préoccupation pour le journal, surtout au sein d’une communauté francophone minoritaire », s’alarme Marine Ernoult, journaliste depuis quatre ans pour La Voix acadienne.
Des citoyens sans voix
Ce manque de personnel force les médias à faire des choix de couverture difficiles et à délaisser malgré eux certaines régions, qui deviennent des déserts médiatiques. « Ça crée un déséquilibre », note Gilles Gagné, rédacteur en chef adjoint du mensuel GRAFFICI, en Gaspésie. « On est très chanceux d’avoir autant de journalistes sur un territoire de 83 000 habitants. Mais est-ce normal qu’il n’y ait pas de journaliste basé à Chandler et Sainte-Anne-des-Monts, qui sont les 2e et 3e villes les plus populeuses ? » s’interroge-t-il.
Cette situation met par ailleurs beaucoup de pression sur les autres journalistes dans le secteur puisqu’ils doivent parfois parcourir de très longues distances pour couvrir plus équitablement les nouvelles du coin. « Ça nous force aussi à faire des choix difficiles et parfois on passe à côté d’une bonne histoire. Parce que les gens viennent nous parler quand ils nous voient, sinon ils nous oublient », note-t-il.
Les citoyens ne le saisissent peut-être pas, mais ils sont une source d’information essentielle pour les médias, et ce, encore plus en région. Gaétan Chiasson, de L’Acadie Nouvelle, souligne que pas moins de la moitié des nouvelles de son journal viennent du public. « C’est là qu’on voit l’importance du rapport entre les journalistes et les lecteurs. Quand quelque chose se passe dans leur village, ils nous appellent directement. Et ça, c’est parce qu’on a réussi avec le temps à développer une relation avec eux ».
Retrouver le lien de proximité
Une relation qui avait pourtant quasi disparu dans les deux dernières décennies, précise M. Chiasson. Dans la foulée du 11 septembre 2001, son journal a décidé de drastiquement couper dans les nouvelles locales, pour faire davantage de place aux actualités internationales et nationales. « On s’est pris pour le New York Times », lance-t-il en riant, reconnaissant aujourd’hui qu’il s’agissait d’une « mauvaise idée » et travaillant à retrouver ce lien de proximité avec les citoyens. « Les gens veulent entendre parler de ce qui les concerne, de ce qui les touche », insiste-t-il.
« Si tu ne te connectes pas avec les citoyens, c’est simple, tu vas les perdre », renchérit Jean-François Rioux, de Radio-Canada. « Avant on avait l’obligation d’appeler toute une liste de gens ou d’organismes pour prendre des nouvelles, poser des questions, trouver des sujets. Mais avec les chaînes d’information en continu, l’immédiateté de la nouvelle, on a oublié ce que c’est vraiment notre business : parler aux gens, aller vers eux, les écouter. »
Il est d’autant plus pressant de retrouver ce lien de proximité, dit-il, dans un contexte de crise de confiance envers les médias. « Les études le disent : en proposant des nouvelles locales, c’est plus facile pour les gens de s’identifier à l’histoire et de la vérifier d’une certaine façon ».
Notre journaliste est à Carleton-sur-Mer à l’invitation du Festival.