Les médias, une épine dans le pied du nouveau roi?

La diffusion en direct du couronnement de la reine Élisabeth II en 1953 a été une première dans l’histoire. Si la télévision a aidé la jeune femme à s’établir comme monarque, le roi Charles III, son fils, a grandi et évolué dans une ère médiatique sans pitié, et sa réputation en a souffert. Les médias qui ont contribué à la popularité de sa mère seront-ils nuisibles au règne du nouveau roi ?
« La télévision a fait d’Élisabeth une reine. Mais elle a aussi contribué au succès de la télévision. Il y avait une relation symbiotique entre la souveraine et l’ère de la télévision. »
Ces mots sont ceux du professeur émérite de l’Université McGill Peter McNally, qui se qualifie lui-même « d’observateur du palais » de Buckingham, mais qui est d’abord le directeur du projet d’histoire de McGill.
Élisabeth « était parfaite » pour la télévision, a-t-il commenté depuis Londres, où il se trouve pour le couronnement du roi.
Celui de sa mère, un événement rare et haut en couleur tout comme en splendeur, « très visuel », était particulièrement bien adapté pour un média qui en était alors à ses balbutiements — ses débuts sur les ondes canadiennes se firent à peine quelques mois plus tôt, en septembre 1952.
Peu de gens possédaient alors un écran à la maison. M. McNally se souvient que son propre père a acheté son premier téléviseur en vue du couronnement.
La BBC (British Broadcasting Corporation, le média public britannique) filmait le couronnement pendant une heure et envoyait la pellicule par avion à Terre-Neuve, d’où il était transmis. Et rebelote pour l’heure suivante, explique-t-il.
La reine était alors une jeune mère qui venait de perdre son père, et les gens avaient beaucoup de sympathie pour elle, rappelle l’historienne spécialiste de la monarchie Carolyn Harris. Par la magie de l’écran, elle était entrée dans leurs maisons, et ils se sentaient plus près d’elle.
Des scandales
Mais Charles III a vécu sa jeunesse avec une presse beaucoup moins tendre. « Cela a été beaucoup plus difficile pour lui et cela sera aussi un plus grand défi pour l’avenir, convient le professeur d’histoire de l’Université McGill, Brian Cowan. Le monde a beaucoup changé, et les médias sont très différents : il y a beaucoup moins de respect. »
« Il a été victime des intrusions de la presse dès son jeune âge, renchérit Mme Harris, qui enseigne aussi à l’Université McGill et à l’Université Queen’s. Sa vie privée a été scrutée de près. » À 14 ans, le premier scandale éclatait : le jeune prince — mineur — a été vu dans un pub avec ses collègues de classe en train de commander un verre de Cherry Brandy.
Beaucoup plus tard, un échange téléphonique privé entre ceux qui étaient alors prince Charles et Camilla Parker Bowles a été secrètement enregistré et publié par la presse britannique. Devenue connue sous le nom de « tampongate », l’affaire a fait scandale et a terriblement nui à l’image du prince. Son divorce acrimonieux avec sa première épouse, Diana, — la très aimée « princesse du peuple » — lui a aussi causé du tort.
Contrairement à sa mère, qui a gardé toute sa vie pour elle ses opinions, Charles a aussi exprimé ouvertement certaines critiques envers le gouvernement chinois et le président russe Vladimir Poutine, rappelle Mme Harris, auteure de plusieurs ouvrages sur la royauté. « Il est ainsi devenu un personnage plus controversé. » Mais est-ce que cela lui a causé du tort ? Certains ont dit qu’il nuisait aux efforts diplomatiques, mais d’autres croient que cela l’a fait paraître comme une personne engagée, bien de son temps, analyse-t-elle.
Charles III a aussi su utiliser la télévision à son avantage : il a fait de brèves apparitions dans les populaires émissions britanniques comme Coronation Street, en 2000, et EastEnders, en 2022.
Un attachement qui perdure
La monarchie communique aussi directement avec ses sujets, avec sa page Web et son compte Twitter « La Famille Royale ». On y trouve des résumés de leurs activités et des photos bien orchestrées : elle peut ainsi contrôler le message, sans être remise en question ni critiquée par les journalistes.
Le professeur McNally insiste sur le fait que Charles accède au trône dans un monde complètement différent de celui de sa mère il y a 70 ans. « La presse n’est plus bienveillante avec personne, dit-il. Elle ne l’est pas non plus avec les politiciens. Nous vivons dans un monde très intrusif. Le niveau de surveillance est insupportable. »
Même s’il ne bénéficie pas de l’adulation qu’a eue sa mère, « les gens peuvent être indulgents et pardonner ». Ils voient qu’il travaille très fort et respecte l’institution, estime-t-il. Selon lui, les médias ne seront pas la perte du roi, à moins qu’il ne commette une lourde indiscrétion ou qu’il ne fasse quelque chose de très grave. Il rappelle que même Élisabeth II a eu son lot de critiques au cours des années — certains se plaignaient même de sa voix —, sans qu’elle perde l’amour de son peuple.
De toute façon, la presse a tout intérêt à promouvoir la monarchie, estime le professeur Brian Cowan : « C’est vendeur. Les scandales de la monarchie font vendre encore plus. » Alors, les médias les entretiennent. Et même si la presse de gauche est critique de la monarchie pour sa richesse et ses liens avec l’esclavage, les médias, « de façon générale, en profitent ».
Il ne croit pas non plus que les médias sonneront le glas du souverain. « Il est roi et le sera jusqu’à sa mort. » Pour s’en débarrasser, il faudra une loi du Parlement, note-t-il.
Selon lui, le plus grand risque pour la monarchie n’est pas qu’elle soit détestée. « C’est que les gens s’en fichent complètement. »
Dans un récent sondage mené par YouGov, les Britanniques sondés peu avant le couronnement se sont prononcés à hauteur de 62 % en faveur d’un monarque à la tête de l’État plutôt qu’un chef élu.
Bref, même si Charles III devait s’avérer être bien moins populaire qu’Élisabeth II, la population britannique ne semble pas prête à dire au revoir à la monarchie et à son nouveau roi.