Mastodon peut-il devenir le nouveau Twitter?

Avec l’arrivée d’Elon Musk à la tête de Twitter, plusieurs internautes craignent une augmentation de la désinformation sur le réseau social et commencent à se chercher une autre plateforme. Parmi les options, le site allemand Mastodon.
Quelques heures après que le milliardaire Elon Musk s’est emparé de Twitter, des personnalités influentes de Hollywood, comme le producteur de This Is Us Ken Olin, des militants, des scientifiques et des chercheurs ont annoncé leur départ de la plateforme à l’oiseau bleu.
La peur de l’émergence d’un discours plus radical, mais aussi l’incertitude quant à l’avenir des données, désormais propriété du patron de Tesla, figure parmi les principales raisons qui poussent des « twittos » à la désertion, selon la coordonnatrice aux communications du Groupe de recherche sur l’information et la surveillance au quotidien, Laurence Grondin Robillard.
« Elon Musk a des usages des réseaux sociaux, dont Twitter, qui s’apparentent beaucoup au trolling […] ça dérange le noeud de Twitter, où l’on retrouve beaucoup de médias, de journalistes, de chercheurs », explique la spécialiste des médias sociaux, doctorante et chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal. Mme Grondin Robillard elle-même interroge sa présence sur Twitter et compte surveiller l’évolution de la plateforme pour prendre une décision « d’ici la fin de l’année ».
Mais d’autres universitaires ont déjà sauté le pas. C’est le cas de Marie Peltier, chercheuse belge spécialiste du complotisme.
« Si un soutien direct de l’extrême droite en prend la tête, Twitter devient objectivement un outil politique de l’extrême droite. Plutôt que d’en faire des papiers dans 5 ans pour “analyser” la chose, je préfèreacter maintenant », écrit-elle sans détour dans une publication Twitter.
Je vais migrer progressivement sur Mastodon. Je pense qu’il est important de prendre la mesure du tournant politique qui est en train de se produire et d’acter une positionnement plutôt que de « subir _.
— Marie Peltier ???????? (@Marie_Peltier) October 29, 2022
Je crois à l’importance des symboles pour résister. https://t.co/fYW0G7zeES
L’une des options envisagées par ceux qui prennent part à la #TwitterMigration est la plateforme décentralisée Mastodon. En quatre jours, le mot-clic #Mastodon a été employé plus de 34 000 fois, et la plateforme dit avoir comptabilisé plus de 70 000 nouvelles inscriptions le 28 octobre, soit le jour où Twitter a officiellement été racheté par Elon Musk. En revanche, le site allemand à l’effigie d’un mammouth, avec ses quelque 4 millions d’utilisateurs, est loin d’atteindre la popularité de Twitter, qui cumule plus de 200 millions d’abonnés.
C’est quoi, Mastodon ?
Le réseau social est lancé en 2016 par le programmeur allemand Eugen Rochko, alors dans le début de la vingtaine, qui se dit insatisfait de Twitter.
L’objectif de la plateforme ressemble à celui de Twitter, mais les moyens utilisés sont bien différents. Elle est libre (open source), sans publicité ni récupération de données, et est composée de plusieurs serveurs décentralisés.
Why choose Mastodon? Because it's decentralized and open-source, it can't be sold and won't go bankrupt. It respects your privacy and gives control over the network to the people. It's a product on top of a protocol, the way Twitter should have been.
— Mastodon (@joinmastodon) October 27, 2022
Cette décentralisation — qui cause des maux de tête à plusieurs internautes peu habitués — permet à une plateforme, selon Mastodon, d’exister sans grands moyens financiers ni recours à la monétisation, comme la vente de données des utilisateurs.
Chaque communauté peut créer son serveur, poser ses propres règles de modération — en respectant des critères de bases, prévient Mastodon —, tout en ayant la possibilité de communiquer avec les autres serveurs.
Mais choisir sa communauté revient-il à s’enfoncer dans une chambre d’écho ? Selon Laurence Grondin Robillard, la plateforme Mastodon offre plus de « liberté » à l’utilisateur qui choisit sciemment sa communauté. Et rien ne l’empêche de naviguer entre différents serveurs, ajoute la chargée de cours.
L’utilisation des plateformes décentralisées comme Mastodon reste toutefois marginale, rappelle Chanel Robin, étudiante à la maîtrise en communication à l’Université de Montréal (UdeM) qui se spécialise sur les réseaux sociaux parallèles.
« Avant de quitter les réseaux propriétaires, comme Twitter, il y a des connaissances techniques à avoir, une curiosité à développer pour les autres options », et encore faut-il qu’il y ait des médias et des personnalités à suivre sur la plateforme à laquelle on se joint, souligne-t-elle.
Pour ceux qui tentent l’aventure des réseaux sociaux méconnus en y étant bien préparés, un avantage non négligeable s’offre à eux : « on peut avoir un peu plus de contrôle sur nos données », fait remarquer le professeur agrégé de l’UdeM spécialisé dans les médias parallèles Stéphane Couture.