Radio-Canada s’excuse d’avoir usé du mot en n, mais conteste la décision du CRTC

La Société Radio-Canada (SRC) a présenté ses excuses mercredi pour l’utilisation du mot en n dans la chronique radio qui lui a récemment valu un blâme du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Le diffuseur public portera toutefois en appel cette décision, jugeant qu’il s’agit d’une « ingérence » de l’agence fédérale « dans le travail journalistique ».
« L’utilisation répétée de ce mot au cours d’une émission de radio de Radio-Canada a été blessante pour certains auditeurs et employés, bien que cela ait été fait dans un contexte journalistique. […] Nous présenterons nos excuses à la personne qui a déposé une plainte », a déclaré la direction de la SRC par communiqué, se disant « profondément désolée ». Une mise en garde aux auditeurs sera par ailleurs ajoutée à la webdiffusion de la chronique et de l’émission en question.
CBC/Radio-Canada insiste : le mot en n est « une insulte raciste et blessante » et doit, dans les rares cas où il est utilisé, « être mis en contexte afin d’essayer de minimiser le mal que son utilisation pourrait causer ».
Rappelons que, fin juin, le CRTC — qui réglemente les médias électroniques au pays — a exigé des excuses publiques de la part de Radio-Canada, blâmant celle-ci pour l’utilisation à quatre reprises du mot en n dans un échange entre l’animatrice Annie Desrochers et le chroniqueur Simon Jodoin lors de l’émission Le 15-18 du 17 août 2020. Parlant d’un sujet d’actualité, ils citaient l’essai Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières. En plus de présenter des excuses, le CRTC demandait à la société d’État de trouver une manière d’« atténuer l’impact » du mot proscrit à l’avenir.
Par ce blâme, l’organisme fédéral a « outrepassé ses pouvoirs », selon la SRC, qui portera en appel la décision. Le CRTC n’avait « ni l’autorité ni la juridiction » pour prendre cette décision, qui relève plutôt des « chefs des nouvelles » du diffuseur public. « En exerçant son pouvoir discrétionnaire, [il a] ignoré la liberté de la presse que garantissent la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur la radiodiffusion », peut-on lire dans le communiqué.
Pour CBC/Radio-Canada, il s’agit « d’une grave erreur », voire d’une « menace » pour l’indépendance journalistique au pays.
Cela étant dit, choisir cette avenue ne change en rien la détermination du diffuseur public « à soutenir les voix des journalistes racisés et à redoubler [ses] efforts pour faire évoluer [sa] propre culture [à l’interne] », note-t-on. La société d’État lancera une « revue interne de ses politiques et normes relatives au langage qui peut être blessant ». « Nous le faisons parce que nous pensons que c’est la bonne chose à faire, et pas parce que le CRTC nous a dit de le faire », précise-t-on.
Blâme critiqué
Dans la foulée du blâme du CRTC, plusieurs voix du milieu des médias ont prié Radio-Canada de porter la cause en appel et de ne pas s’excuser. Parmi eux, d’anciens ombudsmans et d’anciens directeurs de l’information de la SRC, une cinquantaine de têtes d’affiche du diffuseur public, mais aussi des journalistes d’autres médias et des professeurs de journalisme.
Ils craignent que la décision du CRTC ne crée un précédent et que l’organisme fédéral se permette à l’avenir de juger du contenu diffusé en ondes, tant à Radio-Canada que dans les médias privés qu’il régit. Une inquiétude exacerbée par le fait que le CRTC est appelé à gagner en importance avec la réforme de la Loi sur la radiodiffusion du gouvernement Trudeau, qui placerait aussi les médias numériques sous sa gouverne.
« L’objectif principal que nous avions est atteint, c’est-à-dire que la décision du CRTC soit contestée. On ne peut qu’être contents, favorables à cette partie de la réponse du diffuseur public », a indiqué en entrevue mercredi l’ex-directeur général de l’information à Radio-Canada Alain Saulnier, à l’origine d’une lettre sur ce dossier publiée la semaine dernière dans Le Devoir.
Il se montre plus nuancé en ce qui concerne les excuses formulées par la société d’État. « On sent que Radio-Canada ne voulait pas heurter le CRTC. Elle a voulu le ménager en répondant finalement à ses demandes : des excuses, une mise en garde, une réflexion à l’interne », souligne M. Saulnier. Selon lui, il ne faut pas donner une « portée démesurée » à ces excuses. « On est nombreux à trouver que la chronique de Simon Jodoin était prudente, factuelle. On ne peut pas nier l’existence du livre de Pierre Vallières, ça fait partie de notre histoire. »
À la Fédération des journalistes professionnels du Québec (FPJQ), on se réjouit de l’avenue d’une révision judiciaire. « Ce n’est pas au CRTC de se substituer aux chefs des nouvelles et de décider ce qui peut être dit ou non dans nos médias », soutient son président, Michaël Nguyen. Et qu’en est-il des excuses du diffuseur public ? « On respecte ça, il s’agit de la liberté éditoriale de chaque média. […] Nous, on pense que tout peut être dit tant que c’est mis dans son contexte et que ce n’est pas dans le but de heurter ou d’insulter non plus. »
Au moment où ces lignes étaient écrites, le plaignant dans ce dossier, Ricardo Lamour, n’avait pas donné suite à nos demandes d’entrevue.