Radio-Canada blâmée pour son utilisation du mot en n

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) blâme Radio-Canada pour son utilisation du mot en n. L’organisme fédéral reproche à la société d’État d’avoir indûment offensé son auditoire lors d’une entrevue à la radio.
Le 17 août 2020, Annie Desrochers, l’animatrice du 15-18, s’entretient en ondes avec le chroniqueur Simon Jodoin. Leur discussion porte sur le débat du moment, soit le mot en n prononcé par une professeure de l’Université d'Ottawa, qui lui a valu une suspension. À quatre reprises, les deux interlocuteurs prononcent le titre du livre qui fait polémique : Nègres blancs d’Amérique, de Pierre Vallières.
La répétition du mot honni provoque l’ire de certains auditeurs, qui décident de porter plainte. Après délibération, le CRTC a tranché en leur faveur. Radio-Canada « n’a pas fait preuve de suffisamment de prudence et de vigilance dans la façon dont elle a traité le propos, ce qui a pu avoir un effet néfaste sur son auditoire, notamment la communauté noire », indique la décision publiée mercredi.
En outre, le diffuseur public « n’a pas contribué au renforcement du tissu culturel et social ainsi qu’au reflet du caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne », juge le CRTC.
Radio-Canada est donc sommée de fournir « des excuses écrites publiques au plaignant », de rédiger un rapport afin de « mieux traiter d’un sujet semblable à l’avenir » et d’inclure dorénavant une « mise en garde claire à l’auditoire au début du segment de l’émission ».
En somme, le CRTC exige que la société d’État trouve une manière d’« atténuer l’impact » du mot proscrit.
Pas de droit de ne pas être offensé
Certains membres de l’organisme fédéral rejettent toutefois ces conclusions. La vice-présidente Caroline J. Simard soutient que cette « décision majoritaire s’écarte » de jugements de la Cour suprême qui confirment « qu’il n’existe pas, au Canada, de protection d’un droit de ne pas être offensé ».
Elle explique aussi en partie ce verdict par un malentendu. « Cette décision repose sur le motif voulant que l’usage du mot en n compris dans ce titre ait évolué dans l’espace francophone de telle sorte qu’il mérite le même traitement que celui réservé dans le reste du pays en langue anglaise. »
Caroline J. Simard reproche également à ses collègues d’avoir fait « fi du ton professionnel avec lequel l’animatrice et le chroniqueur ont traité cette question délicate ».
Qui plus est, dans les jours suivant l’entretien, Radio-Canada a abordé le sujet par la voix de plusieurs membres éminents de la communauté noire québécoise. « Sous réserve de plusieurs nuances, ces personnes ont prôné un échange ouvert d’idées », relève Mme Simard.
La conseillère Joanne T. Levy s’oppose aussi au jugement. Elle estime que « la décision aura des conséquences inattendues qui entraîneront une sorte d’omission volontaire journalistique, réduiront la discussion au silence et encourageront la censure ».
Le porte-parole de Radio-Canada, Marc Pichette, dit souhaiter « prendre le temps nécessaire pour étudier à fond la décision rendue par le CRTC et la suite que [Radio-Canada] entend y apporter ».
Une version précédente de ce texte indiquant qu'une professeure de l'Université Laval avait prononcé le mot en n a été modifiée. La discussion diffusée sur les ondes de Radio-Canada portait plutôt sur la prononciation du mot en n par une professeure de l'Université d'Ottawa.