Denis Lévesque, ou l’information spectacle décomplexée

Plus de 16 ans après avoir quitté avec fracas TQS pour LCN, Denis Lévesque animera sa dernière émission quotidienne jeudi. Seize années au cours desquelles le « Larry King québécois » a assumé pleinement de verser dans l’information spectacle et le sensationnalisme, au grand dam des puristes du journalisme qui l’ont regardé de haut.
De ces critiques, Denis Lévesque n’en a cure, fort de sa longévité et des six trophées Artis que lui a décernés le grand public. « Je me souviens d’être allé à l’émission de Christiane Charette et, dès la première question, elle me demandait si j’étais sensationnaliste. La réponse, c’est oui, je suis sensationnaliste. Je suis dans l’émotion et la sensation », a-t-il reconnu en entrevue au Devoir.
Au bout du fil, il a tenu à défendre avec vigueur son style, qu’il croit être le plus à même d’intéresser un large auditoire aux affaires publiques. « Moi, le meilleur professeur que j’ai eu dans ma vie s’appelait Noël Lavoie. Il donnait tout un show ! Il grimpait sur les bureaux pour nous expliquer l’Empire romain et la légende d’Hercule. Mais [finalement], il m’a donné le goût de l’histoire. Dans la pédagogie, il doit y avoir quelque chose de spectaculaire », raconte l’animateur natif de Roberval, au Lac-Saint-Jean.
Pourtant, Denis Lévesque avait claqué la porte de TQS à l’été 2005 justement parce qu’il refusait l’information spectacle. La chaîne venait alors d’annoncer que sa nouvelle recrue, Isabelle Maréchal, allait à la fois être l’animatrice de la téléréalité Loft Story et l’une des têtes d’affiche de ses bulletins de nouvelles en fin de soirée. Un mélange des genres qui ne plaisait pas à celui qui devait dès lors coprésenter les journaux télévisés avec elle. « Je me suis demandé si je voulais être un journaliste ou un infotainer », confiait-il au Devoir en août 2005, au moment de quitter le « mouton noir de la télé » pour l’empire Québecor.
Presque 17 ans plus tard, Denis Lévesque apporte quelques nuances à cet épisode marquant de sa carrière. « Dans les manchettes, ça a sorti comme si je ne voulais pas faire d’infotainement. En réalité, c’était plus une guerre de pouvoir entre l’information et la programmation. L’information ne voulait pas se faire imposer une animatrice du Loft par la programmation », relate celui à qui l’on a souvent reproché de s’être contredit en faisant à LCN exactement ce qu’il avait dénoncé à TQS.
Pas qu’un freak show
On ne peut cependant pas l’accuser d’avoir été opportuniste.
À l’époque où il se joint à Québecor, LCN ne récolte qu’un maigre 2 % des parts de marché, soit deux, voire trois fois moins que dans les années précédentes. La direction entreprend alors un grand virage inspiré par les chaînes d’information américaines. C’est ainsi qu’apparaissent l’hélicoptère TVA, les tribunes téléphoniques, les chroniqueurs, mais aussi les émissions d’affaires publiques qui ne se contentent pas d’être des bulletins de nouvelles. En avril 2006, la nouvelle émission de Denis Lévesque donne le ton avec son format calqué sur celui de Larry King à CNN.
S’y succéderont à peu près tous les gros noms du show-business québécois, mais aussi des gens ordinaires aux histoires extraordinaires : des enfants atteints de cancer, des victimes de crimes odieux, des gens inspirants et, bien sûr, quelques personnages hauts en couleur dont le passage donnera lieu à des séquences devenues cultes.
« On voulait donner la parole à des gens à qui on n’accorde pas plus que 15 secondes normalement dans un bulletin de nouvelles. C’est sûr que ça peut donner lieu à des gens qui sont nerveux, qui font deux-trois fautes de français, qui s’emportent parce que leur cause leur tient à cœur. Mais ce n’était pas le but de la manœuvre. Je n’ai jamais fait une entrevue en voulant rire de quelqu’un. Sur 10 000 entrevues, il n’y en a peut-être au bout du compte qu’une trentaine de spectaculaires », tient à préciser Denis Lévesque, qui ne voudrait pas que ce soit le souvenir que l’on garde de son talk-show.
L’animateur croit au contraire avoir contribué à faire évoluer les mentalités, se targuant entre autres d’avoir été l’un des premiers à inviter des personnes trans sur les ondes, au milieu des années 2000. Il se plaît à rappeler qu’à l’époque, certains bien-pensants de Radio-Canada s’en offusquaient et l’accusaient de faire un « freak show » avec ces marginaux. « Aujourd’hui, ils en veulent dans tous leurs téléromans », rétorque Denis Lévesque, moqueur.
La fin d’une époque
À 63 ans, l’animateur s’apprête maintenant à ralentir la cadence. C’est de son propre chef qu’il a décidé de mettre fin à son émission quotidienne, lassé par deux ans de pandémie qui l’ont cantonné aux entrevues par visioconférence. Un supplice pour celui qui pratique ce métier pour être en contact avec les gens, justement.
À partir de l’automne, il animera une série de grands entretiens avec 25 personnalités marquantes des 25 dernières années, toujours sur les ondes de LCN. La retraite ne devrait par contre pas tarder, ajoute-t-il, en constatant que le milieu des médias a considérablement évolué depuis ses premiers pas à la radio AM au Lac-Saint-Jean, au tournant des années 1980.
« On vit dans une société schizophrénique. [D’un côté,] sur Internet, on peut de plus en plus dire n’importe quoi sous le couvert de l’anonymat ; j’ai même dû effacer ma page Facebook parce que je recevais trop de commentaires qui n’avaient aucun sens. Et de l’autre, nous, en ondes, on peut de moins en moins dire des choses ; il y a des sujets qui sont devenus très compliqués à aborder », déplore Denis Lévesque, toujours animé du feu sacré, cela dit.