La radio, un phare en temps de guerre

Les géants des ondes courtes diffusent des informations vers la Russie et l’Ukraine.
Illustration: iStock Les géants des ondes courtes diffusent des informations vers la Russie et l’Ukraine.

La guerre froide recommence, alors la bonne vieille radio de propagande et d’information ajuste ses services en Europe de l’Est et dans la Fédération de Russie.

Les géants médiatiques mondiaux ont modifié leurs programmations et leurs équipes pour suivre le conflit dans l’Ukraine envahie, mais aussi pour diffuser des informations vers le pays agresseur. La censure s’étend au pays de Vladimir Poutine comme jamais depuis la chute de l’Empire soviétique il y a trente ans. Même Facebook et Instagram sont maintenant interdits dans le pays.

L’impression de retourner au XXe siècle divisé en blocs sociopolitiques antagonistes s’amplifie avec la reprise par la BBC de la diffusion sur ondes courtes, vers l’ex-URSS, de quatre heures quotidiennes d’émissions d’information. La décision a été prise quelques jours après la censure des sites Internet du fameux World Service, le plus écouté et le plus respecté dans le monde.

Les ondes courtes désignent un spectre de fréquences dont la portée s’étend sur plusieurs milliers de kilomètres avec une immense capacité de captation, y compris dans les abris souterrains. Le faible coût des appareils de réception, fonctionnant en plus avec très peu d’énergie, en a fait un des outils privilégiés de l’information comme du rayonnement socioculturel partout sur la planète.

De plus, l’écoute des ondes courtes reste très difficile à détecter, ce qui rend ce moyen médiatique encore plus attrayant dans des zones frappées par la censure et la surveillance. C’était vrai pendant la Deuxième Guerre mondiale, c’était vrai pendant la guerre froide et c’est encore le cas maintenant.

« La BBC et La Voix de l’Amérique — et même Radio-Canada International à une certaine époque — ont été mobilisées dans une stratégie de promotion des intérêts nationaux, avec une ligne éditoriale en accord avec les orientations politiques et culturelles des sociétés occidentales, explique Aimé-Jules Bizimana, professeur au Département des sciences sociales de l’UQO, spécialiste de la censure et de la propagande, notamment en temps de guerre. Ce rôle continue jusqu’à aujourd’hui et reprend pendant la guerre en Ukraine. »

Peut-on alors parler de nouvelle propagande ? « Le mot a très mauvaise réputation, dit le professeur Bizimana. C’est sûr que la BBC ou RCI ne font pas de la propagande comme Goebbels. Mais si on revient au sens originel de “promouvoir des idées”, de “la propagation de la foi”, alors oui, absolument, ces médias font de la propagande. Il y a aussi un rôle d’information essentiel, et là-dessus, la palme mondiale est remportée par la BBC, qui demeure dans le monde entier la radio la plus crédible. J’ai parlé à des commandants américains en Irak qui écoutaient le World Service. Je dirais que c’est la seule radio internationale qui a ce niveau de crédibilité sur le plan informationnel. »

L’écoute explose

Radio Canada International (RCI), créée en 1945, a cessé sa programmation en ukrainien en 2009 et en russe en 2012, en même temps que la diffusion par ondes courtes. Le diffuseur concentre ses activités sur le Web en sept autres langues. « Pour l’instant, il n’est pas prévu d’ajouter de nouvelles langues à l’offre de RCI », explique par courriel Marie Tétreault, cheffe des relations publiques de CBC/Radio-Canada.

Radio Vatican (RV) a au contraire choisi de diffuser depuis le 21 mars des émissions matinales de 20 minutes en ukrainien et en russe. RV avait déjà renoncé à un plan initial de réduire les émissions sur ondes courtes.

Les États-Unis musclent aussi leur offre déjà très imposante. Washington contrôle et finance Voice of America, service d’information de l’État fondé en 1942, comparable à BBC World Service, à Deutsche Welle ou à RFI. Radio Free Europe (RFE) a été créée en 1949 comme organisme privé sans but lucratif, mais en bonne partie financée par le Congrès américain (à travers la CIA). RFE a fusionné avec Radio Liberté en 1976 pour créer le groupe RFE/RL. Sa mission est de « défendre les valeurs et les institutions démocratiques et de faire progresser les droits de la personne ». Il existe des antennes semblables pour l’Asie (Radio Free Asia), Cuba (Radio Martí) et le Moyen-Orient (Alhurra TV et Radio Sawa).

Tous ces médias financés publiquement sont regroupés sous la U.S. Agency for Global Media depuis 2018, agence indépendante du gouvernement. Les moyens de RFE/RL ont culminé à la fin de la guerre froide, puis ont été radicalement réduits d’un coup, de 227 à 75 millions, en 1993, après le sabordage de l’Union soviétique et du pacte de Varsovie. Le Congrès a récemment augmenté les subventions au groupe de 15 %, pour les remonter à 145 millions.

Le regain se poursuit. Deux semaines à peine après le début de l’invasion de l’Ukraine, Radio Free Europe/Radio Liberty a créé un nouveau bureau bicéphale installé à Riga, capitale de la Lettonie, et à Vilnius, capitale de la Lituanie. L’avant-poste médiatique des pays baltes abrite les équipes expatriées de Russie et de Biélorussie, des services d’information télé en continu, mais aussi une nouvelle équipe de journalistes d’enquête qui vont travailler en russe. L’offensive médiatique comprend également un centre numérique qui va coordonner les stratégies pour contourner la censure et la désinformation à l’Est.

Le siège de l’organisme est déménagé à Prague en 1995. Les émissions préparées par environ 600 employés, 1300 collaborateurs et 21 bureaux locaux sont maintenant diffusées dans 23 pays, en 27 langues. Radio Svoboda diffuse en Russie, en Ukraine et en Biélorussie.

La guerre en Ukraine a rapidement montré l’appétit pour leurs productions maintenant largement diffusées sur plusieurs plateformes. Entre le 24 février et le 16 mars, les visionnements en Russie de vidéos de l’organisme ont triplé, pour atteindre 238 millions de vues, et tous les indicateurs sont repartis à la hausse, les visites du site (+34 %), les impressions numériques (+51 %) et les visiteurs uniques (+53 %). Les données sont encore beaucoup plus fortes en provenance de la Biélorussie. Même si Moscou punit très sévèrement le partage des supposées « fausses informations », les Russes savent visiblement comment naviguer jusqu’aux sources étrangères.

« Les populations privées d’information, comme en Russie en ce moment, trouvent des moyens de contourner la censure, dit le professeur Bizimana. La fréquentation de la BBC et d’autres sources explose. Oui, une grande partie suit la propagande de Poutine, mais une autre grande partie s’informe à des sources extérieures fiables. C’est aussi arrivé en Pologne pendant le mouvement Solidarność : les gens voulaient éviter la censure officielle. »

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