«Le Journal de Montréal» blâmé pour son emploi des termes «touristatas» et «covidiots»

L’utilisation des termes « touristata » et « covidiot » dans des articles factuels témoigne d’un parti pris contraire au devoir d’impartialité des médias, a jugé le Conseil de presse (CDP) dans une récente série de décisions blâmant à trois reprises Le Journal de Montréal.
Dans la foulée de la publication dans le quotidien montréalais des articles « Au pays des touristatas » et « Québec veut serrer la vis aux touristatas du Sud », les 28 et 29 décembre 2020, 18 lecteurs se sont tournés vers le CDP pour déplorer des « titres partiaux » et l’utilisation d’un « langage dégradant et méprisant » à l’égard d’une partie de la population défiant les mesures sanitaires.
Les articles sont signés par Clara Loiseau, qui s’est rendue à Playa del Carmen, au Mexique, pendant le temps des Fêtes, pour témoigner de l’attitude des touristes québécois à l’étranger. Elle rapporte que la plupart avaient laissé tomber le masque, le lavage de mains et la distanciation sociale alors que, pendant ce temps, au Québec, le gouvernement interdisait les rassemblements en zone rouge et déconseillait les voyages non essentiels.
Dans ses textes, la journaliste opte pour des mots neutres, comme « vacanciers », « clients » ou « voyageurs ». C’est dans les titres de ses articles que l’on retrouve le terme « touristata ».
Puisque cette expression est une fusion des mots « touriste » et « tata » — qui signifie une personne « niaise, imbécile, sotte, insignifiante », selon le dictionnaire Usito — , le CDP a conclu que le terme n’est pas neutre. « Il exprime un jugement de valeur selon lequel les touristes québécois partis au Mexique durant les Fêtes sont des imbéciles. »
Son utilisation par Le Journal de Montréal témoigne « d’un parti pris », juge le tribunal d’honneur des médias dans sa décision, blâmant le quotidien — de qui relève l’entière responsabilité de la titraille — , mais pas la journaliste.
Entre guillemets
Le mot « touristata » n’est pas pour autant à bannir des médias, précise le CDP. Il pourrait être rapporté entre guillemets s’il est utilisé par un intervenant de l’article ou être employé dans une chronique, « les journalistes d’opinion disposant d’une grande latitude dans le choix du ton et du style pour exprimer leur point de vue ».
Dans ce même dossier, le CDP a par contre rejeté deux griefs de plaignants qui jugeaient que la photographie accompagnant les articles ne reflétait pas l’information à laquelle elle se rattachait et que la journaliste avait utilisé de manière injustifiée des procédés clandestins pour réaliser son article. La présence « incognito » de Clara Loiseau était au contraire justifiée par l’intérêt public et par l’existence d’une probabilité « qu’une approche ouverte ne [lui] aurait pas permis d’observer les mêmes comportements ni d’obtenir tous ces témoignages si elle s’était présentée en tant que journaliste », fait valoir le comité des plaintes.
Deux autres plaintes similaires ont été déposées au CDP concernant l’utilisation du mot « covidiot » dans deux autres publications du Journal de Montréal. Il s’agit de l’article du 13 mars 2021 intitulé « [EN IMAGES] 5000 opposants aux mesures sanitaires », signé par Roxane Trudel et Camille Lalancette, et de l’article « Covidiots dans un centre d’achats », du 30 novembre 2020.
Dans le premier cas, le plaignant reproche aux journalistes d’avoir fait preuve de partialité en employant le terme « covidiot » pour, selon lui, « insulter, dénigrer et intimider » ceux qui sont en désaccord avec les mesures sanitaires.

Le terme « covidiot » est formé des mots « COVID » et « idiot », soit une personne « dépourvue d’intelligence, de bon sens », selon Le Larousse. Il est donc « connoté » et démontre un « parti pris » en défaveur des participants à la manifestation, selon la majorité du comité des plaintes du CDP. « Qualifier des personnes d’idiotes est une question de point de vue. […] Bien que plusieurs puissent le penser, il ne revient pas au média de présenter son point de vue dans un reportage factuel », lit-on dans la décision. Dans ce cas, tant les journalistes queLe Journal de Montréal sont blâmés, puisque le terme est au cœur de l’article.
Là encore, on explique que, si le mot « covidiot » avait été rapporté entre guillemets pour signifier qu’il s’agissait de l’opinion d’un intervenant, son utilisation n’aurait pas été problématique. Idem s’il avait été utilisé dans une chronique d’opinion.
Dans la seconde plainte à l’étude, le quotidien est le seul à être blâmé, puisque le mot « covidiot » se trouve uniquement dans le titre de l’article, qui relève de la responsabilité du média et non de la journaliste. « Bien que le titre d’un article factuel puisse être accrocheur et coloré, il doit demeurer impartial et ne doit pas véhiculer de jugement de valeur », écrit le Conseil.
Lorsqu’une plainte est retenue contre une entreprise médiatique membre du CDP, celle-ci doit publier ou diffuser la décision dans les 30 jours. Or les médias de Québecor se sont retirés en 2010 du CDP, se soustrayant ainsi à cette « obligation morale ». Le quotidien a répété au Devoir qu’il ne voulait pas faire de commentaires, puisqu’il ne fait plus partie du Conseil de presse. Ce dernier déplore d’ailleurs « le refus de collaborer du Journal de Montréal » dans les trois plaintes.
Aucune plainte retenue dans le dossier Élisabeth Rioux
Le Conseil de presse n’a retenu aucune des quelque 1400 plaintes — un record — reçues contre trois émissions de LCN et de QUB Radio diffusées le 10 novembre 2020, dans lesquelles Julie Marcoux, Geneviève Pettersen et Benoît Dutrizac échangeaient sur les publications Instagram de l’entrepreneure et influenceuse québécoise Élisabeth Rioux, dans lesquelles elle révélait avoir été victime de violence conjugale.
Le CDP a rejeté l’un après l’autre les griefs des plaignants, qui déploraient de la partialité, des informations inexactes, incomplètes, une atteinte à la dignité, l’identification d’une personne mineure et de la discrimination. Deux autres griefs concernant des informations inexactes et un manque d’équité ont quant à eux été jugés irrecevables en raison d’un manque de preuves sur les passages remis en question par les plaignants.
Le CDP a aussi relevé que nombre de plaintes manquaient de précisions ou interprétaient — à tort — les propos des trois professionnels de l’information. Ces derniers n’ont commis aucune faute déontologique, selon le comité des plaintes.
À noter qu’après la vague d’indignation que leurs échanges avaient créée sur les réseaux sociaux, les deux animatrices s’étaient tout de même excusées sur Twitter et Instagram. Geneviève Pettersen avait aussi présenté des excuses durant son émission Les effrontées, le lendemain des segments mis en cause.