ICI la presse censurée, à Moscou

La nouvelle maison de Radio-Canada à Montréal
Valérian Mazataud Le Devoir La nouvelle maison de Radio-Canada à Montréal

CBC/Radio-Canada a emboîté le pas à la BBC vendredi en interrompant « temporairement » ses activités journalistiques en Russie, après l’adoption par Moscou d’une nouvelle loi menaçant d’une peine de prison quiconque partagera des informations jugées « mensongères » sur l’armée russe. Une décision « sage », qui rappelle toutefois la fragilité de la liberté de la presse encore aujourd’hui.

« Dans ces circonstances exceptionnelles, afin d’assurer la sécurité de nos journalistes et de nos employés en poste à Moscou, nous suspendons temporairement nos activités journalistiques en Russie, le temps de clarifier la portée de cette nouvelle loi », a indiqué le diffuseur public par voie de communiqué en après-midi.

La correspondante pour la télévision et la radio françaises de Radio-Canada, Tamara Alteresco, et le reste des équipes présentement en Russie resteront sur place jusqu’à nouvel ordre.

CBC/Radio-Canada s’est dit « vivement préoccupé » par la volonté de Moscou de criminaliser « la couverture journalistique neutre et impartiale » de l’invasion en Ukraine. Le diffuseur soutient que le travail de ses journalistes sur le terrain est essentiel pour « tenir les Canadiens, et les citoyens de partout dans le monde, informés des événements en cours ».

Cette décision survient quelques heures après que le président russe Vladimir Poutine a apposé sa signature sur un nouvel amendement visant à sévir contre la propagation de fausses informations sur les forces armées russes. C’est-à-dire des informations allant à l’encontre de la position officielle du gouvernement russe sur la guerre en Ukraine.

Cette nouvelle législation s’applique autant aux professionnels de l’information qu’à la population russe. Elle prévoit diverses peines pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison.

Aux yeux du président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Michaël Nguyen, il s’agit d’une « sage décision » de la part de Radio-Canada et de son pendant anglophone. « Quand on regarde cette loi et les déclarations du président russe, on comprend que le danger est réel pour les journalistes. […] Il y a toujours un risque à faire du journalisme en temps de guerre, mais là, on parle quand même de se faire jeter en prison et d’y rester peut-être 15 ans. C’est grave », s’inquiète-t-il. Il s’attend à ce que plusieurs médias occidentaux suivent le mouvement dans les prochains jours, par mesure de sécurité.

L’agence Bloomberg News et la BBC avaient déjà annoncé plus tôt vendredi la suspension temporaire du travail de leurs journalistes sur place, le temps de vérifier les répercussions de la nouvelle législation. La chaîne publique britannique a toutefois indiqué qu’elle continuerait à informer en russe, mais depuis l’extérieur du pays.

La chaîne américaine d’informations CNN a suspendu quant à elle la diffusion de ses programmes en Russie, tandis que le journal russe indépendant Novaïa Gazeta a indiqué être « obligé de supprimer de nombreux contenus » pour éviter les sanctions. Le site d’information économique russe The Bell a quant à lui carrément décidé de ne plus couvrir la guerre en Ukraine afin de protéger ses journalistes des sanctions pénales.

« De voir ces médias se faire censurer un à un, c’est terriblement triste. Surtout dans un pays où c’était déjà difficile d’obtenir de l’information fiable et vérifiée. On prive la population russe d’une information de qualité essentielle », déplore Michaël Nguyen.

Quant aux Québécois, ils perdent aussi une perspective importante sur le conflit, selon Jean-Hugues Roy, professeur de journalisme à l’Université du Québec à Montréal. C’est grâce au travail de journalistes sur le terrain, comme la correspondante Tamara Alteresco, qu’on a pu par exemple voir que le président Vladimir Poutine avait de nombreux dissidents. Encore cette semaine, ses reportages ont montré comment la honte et la peur poussent présentement des Russes à quitter le pays. Comment la population commence à ressentir les contrecoups des sanctions prises à l’internationale. Sans compter sa couverture des manifestations contre l’invasion russe.

« Ce travail est nécessaire. J’espère vraiment que ça va être temporaire, […] même si je comprends que c’est délicat comme situation pour les patrons de presse », indique M. Roy.

Contrôler le message

 

D’autres mesures ont été prises vendredi par Moscou pour contrôler encore plus le récit offert à la population russe au sujet de l’invasion de l’Ukraine, présentée comme une opération limitée visant à protéger les Ukrainiens russophones d’un « génocide ».

Le régulateur des médias Roskomnadzor a ordonné le blocage immédiat de Facebook, l’accusant de « discriminer » des médias russes tels que la télévision du ministère de la Défense, Zvezda, ou l’agence de presse Ria Novosti. L’accès au réseau social Twitter a également été restreint.

Plus tôt dans la journée, plusieurs médias ont vu leur accès coupé par les autorités russes, tels que la BBC, la radiotélévision internationale allemande Deutsche Welle, le site russe indépendant Meduza, la Radio Svoboda, antenne russe de RFE/RL, ou encore Voice of America.

 

La liberté de la presse était déjà mise à mal en Russie, qui occupe la 150e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. Mais la situation ne fait qu’empirer. « Vladimir Poutine est en train de tuer le journalisme en Russie », se désole le président de la FPJQ.

Avec l’Agence France-Presse

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