Un média qui ne veut pas mourir

La radio a souvent été donnée pour morte, mais ni la télévision ni Internet n’ont réussi à en venir à bout. Tiendra-t-elle encore le coup cette fois-ci, alors que la baladodiffusion et le télétravail changent considérablement la donne ? À l’approche de la Journée mondiale de la radio ce dimanche, la question se pose, mais peu s’inquiètent vraiment de son avenir. Lumière sur un média qui en a vu d’autres et qui refuse de rendre l’antenne.
Le Centre d’études sur les médias rapporte que 70 % des auditeurs syntonisaient la radio dans les transports avant le cataclysme de mars 2020. Sans ces hardes de gens qui s’agglutinent dans les bouchons de circulation pour aller travailler, la pandémie aurait donc bien pu porter le coup de grâce à la radio traditionnelle, mais il n’en fut rien, pour les stations parlées du moins.
Le 98,5 FM, le poste le plus écouté à Montréal, a certes perdu presque 150 000 auditeurs entre l’automne 2019 et l’automne 2020, mais les chiffres ne sont pas pour autant catastrophiques. Non seulement le dernier sondage montrait à la fin 2021 que les chiffres tendaient à revenir progressivement au niveau d’avant-pandémie, mais les dernières données Numeris confirment également que les auditeurs ont tendance à écouter la radio plus longtemps depuis le début de la crise sanitaire.
« Dans toutes les crises que nous avons vécues au Québec ces cinquante dernières années, comme la crise du verglas, il y a toujours eu un besoin pour la radio parlée. Dans un contexte de désinformation lié à la pandémie, la radio est encore perçue comme une source d’information crédible », soutient Caroline Paquet, présidente de Cogeco Média, propriétaire entre autres du 98,5.
Radio-Canada se targue, elle aussi, d’avoir réussi à faire mentir les pronostics, qui ne donnaient pas cher de la radio à l’ère du télétravail. La Première chaîne a même connu une hausse de 7 % de son auditoire entre l’automne 2019 et l’automne 2021. La preuve, selon la société d’État, que les auditeurs ne se sont pas désintéressés de la radio durant la pandémie, mais qu’ils ont seulement adapté leurs habitudes d’écoute en conséquence. Alors qu’ils captaient la bande FM dans leur voiture, les gens consomment aujourd’hui la radio en direct sur leur cellulaire.
« Le balado et la radio traditionnelle sont des cousins, mais ils répondent chacun à un besoin différent, qui est complémentaire. Il y aura toujours une place pour des émissions en direct. La radio permet une grande proximité qu’on ne retrouve pas ailleurs », soutient Caroline Jamet, la directrice de la radio de Radio-Canada.
Le balado est-il l’avenir ?
Parallèlement à sa programmation régulière et aux segments de ses émissions offertes en rattrapage, la Société Radio-Canada offre de plus en plus de balados originaux. Les sujets traités y sont souvent décalés, et le montage, omniprésent.
Cette formule, qui ressemble parfois davantage à la télévision qu’à la radio conventionnelle, est en pleine explosion depuis quelques années. Bell Média fait lui aussi dans le podcast avec son application iHeartRadio, idem pour Québecor avec QUB radio.
« De plus en plus, les annonceurs s’intéressent à la précision que peut offrir le numérique. Avec les produits audio, [ils] ont beaucoup plus de précision pour savoir qui on est allé toucher. Alors c’est sûr que c’est appelé à grandir. Les enquêtes d’audience pour la radio traditionnelle vont devoir [le] prendre [en] compte et ajuster leurs méthodes pour essayer d’offrir autant de précision », ajoute le directeur général de QUB radio, Jean-Nicolas Gagné.
La baladodiffusion connaît une telle croissance qu’il y a lieu de se demander si ce n’est pas qu’une mode, ou du moins si l’on n’atteindra pas un jour un point de saturation.
Coanimateur du podcast Sans filtre, l’un des plus populaires au Québec, PH Cantin est convaincu que la baladodiffusion a encore de belles années devant elle, mais il reconnaît que ce médium est peut-être appelé à évoluer.
« Durant la pandémie, beaucoup d’humoristes ont lancé leur propre podcast, ce qui leur a permis d’avoir un revenu. Mais le marché au Québec n’est peut-être pas assez gros pour supporter autant de balados. La formule où il y a une vedette qui parle d’elle pendant une heure, c’est peut-être en train de s’essouffler. L’avenir, il est beaucoup plus dans le balado plus niché, qui ne s’adresse pas nécessairement à un large public », analyse le propriétaire du Studio SF, que plusieurs personnalités louent pour enregistrer leur balado.
PH Cantin pense lui aussi qu’il y a encore une place pour la radio FM, aux côtés du balado. Mais il est tout de même d’avis que la radio commerciale devrait s’en inspirer si elle veut survivre. « En ce moment, quand on ouvre la radio, on a une chance sur deux de tomber sur une pub. Peut-être qu’il faudrait mieux répartir les blocs publicitaires, quitte à les écourter. Parce que les jeunes qui écoutent des balados ne sont pas habitués à autant de publicités, et c’est un sérieux irritant », ajoute-t-il.
Qui plus est, les plateformes d’écoute, comme Spotify, permettent d’écouter la musique de notre choix sans pauses publicitaires. Est-ce la fin des radios musicales commerciales ?
Moins populaire, la radio musicale
Les radios musicales privées ont enregistré des baisses d’audience beaucoup plus prononcées dans les derniers mois que la radio parlée.
Les audiences de CKOI et de Rythme FM ont chuté d’environ 11 et 23 % respectivement, entre l’automne 2019 et l’automne 2021. Rouge FM et Énergie ont connu un recul de parts de marché lors de la dernière saison. Bell Média, qui est propriétaire de ces deux stations, a décliné notre demande d’entrevue.
« Il faut que les radios musicales ne se contentent plus de jouer une playlist. Il faut des concerts, des entrevues exclusives avec les artistes… Il faut une valeur ajoutée par rapport aux plateformes de streaming », plaide Henri Assogba, professeur de communication à l’Université Laval.
Avec pour preuve le succès retentissant d’ICI Musique depuis le début de la pandémie. En deux ans, la radio musicale de Radio-Canada a élargi son auditoire de 64 %.
Comme quoi, non, la radio n’a pas dit son dernier mot.