Ne potine pas qui veut ni, surtout, sur qui il veut au Québec

La controverse autour du fameux voyage d’influenceurs au Mexique a fait émerger toutes sortes de pages à potins sur les réseaux sociaux, où les internautes sous le couvert de l’anonymat se plaisent à échanger des détails de la vie privée de gens moyennement riches, mais un peu célèbres. Alors que l’on disait jusqu’ici les Québécois extrêmement respectueux de la vie privée de leurs vedettes, viendrait-on d’ouvrir une boîte de Pandore ?
Certains artistes s’en inquiètent, mais plusieurs dans le milieu des médias en doutent et ne manquent pas de souligner que les paparazzis n’ont jamais réussi à se tailler une place au Québec.
Les humoristes infidèles et les chanteurs qui ont un penchant pour la fête peuvent donc dormir tranquilles. Ils ne verront pas leurs petits secrets être étalés au grand jour de sitôt, est convaincue la journaliste culturelle Marie-Josée R. Roy. Selon elle, la curiosité intrusive dont sont victimes les influenceurs depuis quelques semaines sur les réseaux sociaux est un phénomène à part.
« Pour monsieur et madame Tout-le-Monde, un influenceur, c’est quelqu’un qui ne travaille pas, qui dit des niaiseries sur YouTube et qui se fait tout payer par ses commanditaires. Alors, c’est sûr que quand on les voit se planter comme dans l’affaire du vol de Sunwing, ça nous fait plaisir collectivement. Mais moi, je ne mets pas dans la même catégorie les influenceurs et Véronique Cloutier », distingue Marie-Josée R. Roy, qui a couvert l’actualité artistique pour le défunt Huffington Post et pour les médias de Québecor.
Cette journaliste d’expérience vient de lancer son propre site, Sous les projecteurs, qui vise d’abord à donner une vitrine au travail des artistes, mais qui ne crachera pas non plus sur des petits potins ici et là. Par « potins », Marie-Josée R. Roy entend des nouvelles sur la vie privée : la grossesse de l’une, la séparation d’un autre. Tout doit cependant être consenti et confirmé par l’artiste. Pas question de verser dans un style proche de la presse à scandale anglo-saxonne, qui n’a cure de la vie privée des célébrités.
« Au Québec, on a la poursuite très facile. Tu ne peux pas aller dans le trop intime et le trop salé. Les journalistes et les artistes sont trop proches. Tu vas voir un tel à un tapis rouge le dimanche, tu vas le revoir à un lancement le mardi et le vendredi, tu vas faire la critique de son spectacle », témoigne la journaliste, qui ne croit pas de toute façon qu’il y ait un grand intérêt pour ce genre de contenu. Vraiment ? La créatrice de la page Instagram drama.qc constate à l’inverse que plusieurs de ses quelque 30 000 abonnés sont friands de rumeurs et de scandales.
Cette jeune femme de 23 ans, qui tient à garder l’anonymat, a réussi au début du mois à deviner le code de la conversation privée sur l’application Discord des controversés influenceurs qui étaient partis sous le soleil de Tulum pour défoncer l’année.
En quarantaine après avoir attrapé la COVID-19 comme des milliers de Québécois durant le temps des Fêtes, elle a été choquée de voir l’insouciance de ces stars des réseaux sociaux et a donc décidé de publier des captures d’écran des échanges souvent surréalistes. C’est grâce à elle, entre autres, que le grand public a pu apprendre que des personnes qui prenaient part à ce voyage avaient contracté la COVID-19 et qu’elles paniquaient à l’idée de revenir au pays.
« Mon but, c’était de faire justice. Je voulais que les gens voient que les influenceurs se pensent au-dessus de tout », raconte celle qui est derrière drama.qc. Son compte est devenu viral en quelques heures, et rapidement, des abonnés se sont mis à lui raconter en message privé des histoires croustillantes à propos de célébrités, beaucoup plus connues que les influenceurs qui se sont se retrouvés à bord du vol de Sunwing. La jeune femme reconnaît cependant être beaucoup plus hésitante à les partager, consciente que de se moquer d’anciens candidats de téléréalités passe encore, mais que de balancer des informations sur de gros noms de la colonie artistique est une tout autre paire de manches. « J’aime mieux ne pas jouer avec ça. Je ne veux surtout pas une poursuite pour diffamation. Et les Québécois sont vraiment attachés aux grosses vedettes qui passent à la télé », se fait-elle la réflexion.
Aller trop loin
Et pour cause, certains sites à potins ont regretté d’avoir poussé le bouchon un peu trop loin. À ses débuts en 2007, Hollywood PQ appelait le public à lui envoyer des photos d’artistes québécois captées sur le vif. Mais le site a rapidement fait marche arrière, non pas parce que l’intérêt du public n’y était pas, au contraire, mais parce que rapidement, plusieurs artistes se sont élevés contre cette dérive. « La vraie presse à scandale est à peu près impossible dans la dynamique québécoise. Si un média se met à dos un artiste, ça veut dire que l’agent de cet artiste, qui représente 50 autres artistes, pourrait décider de refuser toutes les demandes d’entrevue », évoque Carl Abran, cofondateur d’Hollywood PQ, qui a quitté la gestion du site il y a plus d’une dizaine d’années.
Depuis, les sites du même genre ont proliféré sur la Toile grâce à leurs titres accrocheurs, voire souvent trompeurs, destinés à faire cliquer même les lecteurs les plus indifférents. Une stratégie qui a changé la donne dans l’univers des médias people québécois, jusque-là dominé par les magazines.
Somme tout, les articles restent assez convenus, tant sur le Web que sur le papier glacé au Québec. Rien ne peut se rapprocher de près ou de loin de TMZ, le site à potins qui fait la pluie et le beau temps sur Hollywood depuis plus d’une décennie en épiant la vie des stars. « On est encore dans cette ère de respect envers nos vedettes ici. On s’inquiète de ce qui se passe dans leur vie, tout en étant respectueux. Il va peut-être y avoir quelques explosions à droite et à gauche avec des plateformes qui s’en permettent plus, mais je ne crois pas que ça va changer », analyse Érick Rémy, ancien animateur de la populaire émission de radio Le showbizz chaud.
Le fils d’Edward Rémy, le fondateur d’Écho vedettes, est pourtant bien placé pour savoir que la presse dite artistique a déjà été beaucoup plus mordante au Québec. Certes, mais l’époque était aussi bien différente, rétorque-t-il.
« Plusieurs histoires à l’époque de mon père étaient lancées par les artistes eux-mêmes pour faire parler d’eux, rappelle Érick Rémy. Aujourd’hui, c’est beaucoup moins dans leur intérêt de le faire. C’est beaucoup plus difficile de passer à travers les scandales. Tout reste en ligne et rien ne s’efface. »