Devant la pression, un groupe d’opposants aux «radios poubelles» supprime sa page Facebook

Après près de dix ans à dénoncer certains propos tenus sur les ondes des radios privées de la région de Québec, la coalition Sortons les radios poubelles dit avoir été contrainte de fermer sa page Facebook, alors que les propriétaires de CHOI Radio X menacent d’entamer des procédures pour obliger les administrateurs du groupe à divulguer leur identité. Ces derniers y voient une façon détournée de les museler, ce qu’ils trouvent ironique venant d’une radio qui a fait de la liberté d’expression sa marque de commerce.
« Radio X piétine encore une fois la liberté d’expression. Ils n’en ont rien à faire de la liberté d’expression. Ce sont des intimidateurs », clame un administrateur de la page en entrevue avec Le Devoir. Se présentant sous le nom d’emprunt d’Étienne Lantier, il fait valoir que l’anonymat est « garanti par les chartes », citant en exemple des jugements allant en ce sens, comme l’invalidation en 2016 de l’interdiction de manifester en portant un masque.
Étienne Lantier, c’est le pseudonyme utilisé par les administrateurs de Sortons les radios poubelles, en référence à un personnage de Germinal, d’Émile Zola, qui a à cœur le sort des ouvriers. Les membres du groupe se battent pour pouvoir continuer de dissimuler leur réelle identité, de peur de représailles.
« Tous ceux qui se sont attaqués aux radios de Québec en ont payé le prix. L’anonymat est ce qui nous protège », indique-t-on, en faisant référence à Jean-François Jacob, un employé de Desjardins qui avait perdu son emploi en 2013 après avoir créé un site hostile aux radios d’opinion de la capitale nationale.
Contre la désinformation
Pour les membres de Sortons les radios poubelles, le milieu de la radio à Québec a très peu changé. Certes, on reconnaît que les vedettes des ondes n’ont plus l’habitude de prendre en grippe un seul individu, depuis que l’ancienne présentatrice météo Sophie Chiasson a obtenu gain de cause en 2005 contre l’animateur Jeff Fillion après avoir été la cible d’insultes répétées.
Mais les administrateurs de la coalition observent que cette haine est aujourd’hui transposée vers des groupes de la société, comme les cyclistes, les artistes ou les écologistes, de manière à éviter les ennuis avec la justice.
« On n’en a pas contre le fait que ce soit une radio de droite, ce n’est pas ça, le problème. Nous, on en a contre le style de la “radio poubelle”. Il faut que l’on respecte la déontologie du journalisme. Les journalistes doivent vérifier les informations, doivent veiller à ce que les différents points de vue soient reflétés. Mais eux [les animateurs], ils font tout le contraire de ça », poursuit Étienne Lantier, rappelant que des propos controversés sur la pandémie ont été à maintes et maintes reprises relayés au micro de CHOI Radio X.
Pour appuyer leurs dires, les militants derrière Sortons les radios poubelles avaient pris l’habitude, depuis la création du collectif en 2012, de diffuser sur leur compte YouTube des extraits des émissions de radio qu’ils jugeaient problématiques. Or, YouTube a fermé leur profil le printemps dernier après avoir reçu plusieurs signalements pour atteinte au droit d’auteur.
La réutilisation d’extraits dans le but d’en faire la critique est pourtant clairement autorisée en vertu de la Loi sur le droit d’auteur canadienne. Mais les administrateurs de Sortons les poubelles croient que les auditeurs et les cadres de CHOI Radio X ont réussi à déposer des plaintes répétées auprès de YouTube, de manière à forcer la suppression de leur compte.
Ils craignaient que le même sort soit réservé à leur page Facebook afin de les obliger à donner leur vrai nom. Ils ont finalement préféré la supprimer à la fin décembre.
Sortons les radios poubelles reste actif sur son site Internet et sur Twitter, qui est moins enclin que Facebook à lever l’anonymat de ses membres en cas de signalements.
Injonction
RNC Media, propriétaire de CHOI Radio X, multiplie en effet les démarches depuis quelques mois afin de savoir qui se cache derrière Sortons les poubelles. Elle estime être en droit de le savoir, considérant que les membres du collectif s’adonnent à de l’intimidation lorsqu’ils appellent la population à contacter personnellement les entreprises qui ont acheté de la publicité sur les ondes de la station.
« À partir du moment où des entreprises deviennent les victimes collatérales d’un mouvement piloté par des trolls, la ligne de l’inacceptable a été franchie », pouvait-on lire dans un communiqué de presse de RNC publié à la suite du dépôt d’une injonction à la fin juin.
RNC n’a pas souhaité réagir à la suppression de la page Facebook de Sortons les poubelles, nous renvoyant à ce communiqué.
Du côté du collectif, on rétorque que la campagne visant les annonceurs n’a jamais eu pour objectif de nourrir l’intimidation à leur endroit, le but étant tout simplement de les inciter à retirer leurs publicités.
Propriétaire du restaurant La Bête dans le secteur de Sainte-Foy, Christian Veilleux en doute, lui qui estime avoir payé les frais injustement de cette initiative.
« J’ai dû recevoir des centaines de courriels haineux depuis 3-4 ans. Je trouve ça déplorable », raconte-t-il, sans pour autant souhaiter montrer des exemples de ces messages lorsqu’interrogé par Le Devoir.
« Ce n’est pas un choix politique qu’on a fait, c’est un choix commercial, poursuit ce restaurateur qui a choisi Jeff Fillion pour être son porte-parole. Comme commerçant, je veux remplir mon établissement. Donc, c’est sûr qu’on va placer de la pub dans les endroits qui sont le plus écoutés. »
Christian Veilleux ne pleurera donc pas la suppression de la page Facebook de Sortons les radios poubelles. Selon lui, ce serait la moindre des choses que les administrateurs du groupe œuvrent à visière levée, pour être au moins à armes égales avec ceux qu’ils montrent du doigt.
« Je trouve ça bien ordinaire que ce soit des chicken qui se cachent derrière une page, tranche-t-il. Moi, tout le monde le sait, qui je suis. Tout le sait que j’ai décidé d’acheter de la pub à Radio X. Tu veux avoir une opinion : pas de problème. Mais, dis qui tu es. »