Mathieu Bock-Côté, sa vie, son œuvre dans les médias français

Ce samedi soir de novembre à Paris, Mathieu Bock-Côté reçoit l’auteur Franz-Olivier Giesbert pour son livre Le sursaut sur le général de Gaulle. L’émission s’intitule Il faut en parler. Elle est diffusée en direct sur CNews, chaîne privée d’information en continu. Le chroniqueur y décrypte l’actualité franco-française avec ses invités.
« Sa fusée est montée très, très vite », dit l’essayiste Giesbert, après l’émission, en parlant du chroniqueur québécois. « Il est devenu très populaire en très peu de temps. Comme il était inconnu, ses audiences s’expliquent forcément par ses propres qualités. Il y a un vrai art oratoire : c’est quelqu’un qui vous prend par les tripes et qui fascine les gens. »
Il est aussi bien difficile de le rater. En plus de cette production du samedi, Mathieu Bock-Côté (MBC) livre des éditos dans Face à l’info de CNews, du lundi au jeudi, de 19 h à 20 h. Le dimanche matin, il se joint au Grand Rendez-vous de la radio Europe 1 organisé avec CNews, deux médias du groupe Vivendi.
L’intarissable machine à commentaires publie en plus des chroniques le week-end dans Le Figaro tout en conservant ses tribunes hebdomadaires québécoises dans Le Journal de Montréal, un balado sur QUB radio, les panels de La joute (LCN) des lundis et mercredis soirs, et puis maintenant Le Bilan du vendredi. Quelqu’un a dit médiacrate ou omnicommentateur ?
« J’ai toujours beaucoup travaillé et, en toute modestie, j’ai une vraie connaissance de l’histoire comme de la vie politique et intellectuelle françaises », dit laconiquement le verbomoteur rencontré quelques heures avant l’enregistrement d’Il faut en parler.
Le rendez-vous était donné au Café de la mairie, sur la place Saint-Sulpice dans le chic 6e arrondissement, devenu son coin de Paris. Il y est arrivé en habit de chroniqueur télé, avec complet bien coupé. Le chauffeur de CNews venait ensuite le chercher pour le mener aux studios en périphérie de la capitale.
La publication d’un premier livre en France (Le multiculturalisme comme religion politique, Cerf) en 2016 lui a ouvert les plateformes du Figaro jusqu’à la récente explosion d’expositions. « Les questions que j’aborde depuis longtemps, les Français les voient venir de loin, et le Québec offre une sorte d’avant-poste pour observer cette transformation, dit encore MBC pour expliquer davantage ses embauches en France. On y résiste tout en y faisant face, ne serait-ce que par le régime canadien et la frontière américaine. Tout ça a finalement abouti à ma présence ici, dans les circonstances. »
Z comme Zemmour
Le contexte, c’est notamment celui d’une élection présidentielle à venir en 2022 sur fond de crise sociopolitique. La France penche de plus en plus à droite, vers l’extrême même. La candidature d’Éric Zemmour, officialisée depuis mardi, cristallise cette tendance. Le polémiste veut faire de l’élection du chef d’État un vote sur l’avenir de la civilisation française, rien de moins. « Il n’est plus temps de réformer la France, mais de la sauver », a déclaré le journaliste et essayiste pour justifier son saut dans l’arène.
Éric Zemmour a quitté la quotidienne Face à l’info le 8 septembre, parce que son temps de parole médiatique était désormais décompté au même titre que les autres candidats politiques potentiels. Mathieu Bock-Côté a pris son relais et a en gros maintenu l’auditoire à près de 700 000 téléspectateurs. Cela dit, CNews fait seulement un peu plus de 2,2 % de points d’audimat par mois.
S’il avait été immortalisé à l’Académie française comme son compatriote Dany Laferrière, Mathieu Bock-Côté aurait dû faire l’éloge de son prédécesseur au fauteuil. La remarque le fait sourire un peu et il accepte de jouer son rôle de commentateur de l’actualité en jugeant son illustre collègue devenu présidentiable.

« Ma thèse sur lui, c’est qu’il va y aller sur les questions fortes : immigration, identité, société française », a-t-il dit avant l’annonce de l’entrée en lice à laquelle tout le monde s’attendait de toute manière depuis des mois. « Pour le reste, il n’a pas à être lumineux. Il faut juste qu’il soit sérieux. On n’a pas à être génial dans tout, on a juste à n’être pas trop mauvais. »
Éric Zemmour allume bien des feux qui le roussissent. Il veut interdire les premiers prénoms non français et « renvoyer les étrangers » par millions.
« Je trouve que le procès qu’on lui fait est délirant, enchaîne MBC. Sur les plateaux, on le présente souvent comme un défenseur de Vichy. Mais c’est faux. C’est objectivement faux. On le traite de pétainiste alors que ce type est un maxigaulliste. J’observe un processus de diabolisation. »
En tout cas dans sa déclaration solennelle et emphatique de mardi, M. Zemmour a encore égrainé des références au « grand remplacement » par les musulmans, thèse raciste et complotiste née en France il y a une décennie.
« Le concept est trop empoisonné, dit MBC. Il faut parler des enjeux qui sont réels et dont tous conviennent. Il faut parler d’immigration massive. Il faut parler d’intégration. On peut dire que dans certains quartiers, les mœurs d’un islam le plus rétrograde se substituent aux mœurs françaises. Mais il faut éviter ce concept de grand remplacement, surchargé idéologiquement, écrasé par je ne sais combien de définitions contradictoires. »
Christine Kelly, présentatrice de la chaîne, animatrice de Face à l’info, a travaillé avec les deux commentateurs, Zemmour et Bock-Côté. « Il donne son avis, souvent très incisif, mais sans aller trop loin, a-t-elle dit de son nouveau collaborateur québécois. Il n’insulte personne et fait attention aux mots choisis. »
Le régime diversitaire
Dans sa perspective ordonnée, un nouveau régime politique s’instaure avec le wokisme comme forme radicalisée du politiquement correct. Ce régime diversitaire transfère la légitimée politique vers les marges identitaires réputées les plus émancipatrices. Cette idéologie, totalitaire dans sa prétention à détenir la vérité, combat aussi les débats d’idées et réintroduit de la censure partout.
La critique peut atteindre à gauche les défenseurs de la laïcité ou de la liberté d’expression. Elle semble mordre bien davantage à droite et à l’extrême droite qui y joignent la détestation du multiculturalisme ou de l’intersectionnalisme.

CNews et les autres médias du milliardaire Vincent Bolloré (dont Paris Match depuis peu) s’engagent dans cette lutte. La chaîne a été décrite comme la Fox News française. Le Monde parlait récemment de l’empire Bolloré comme d’une « machine de guerre médiatique », comme on reproche parfois à Pierre Karl Péladeau d’utiliser les médias de Québecor pour promouvoir des vues identitaires et nationalistes.
« C’est ridicule : la palette est large en mautadit et la diversité des points de vue est là, corrige le chroniqueur vedette des deux empires. On y accepte d’autres opinions que celles sortant du progressisme obligatoire. Je suis pour la diversité des points de vue. Le procès fait à CNews me semble injuste. »
Le chroniqueur des deux mondes peut aussi comparer l’un à l’autre, la chicane dans l’une et l’autre cabane. Il propose qu’au Québec la conversation intellectuelle se cantonne dans l’espace universitaire (qui, à ses yeux, « reproduit tous les tics et les travers du milieu clérical ») tandis qu’en France elle irrigue les médias et se retrouve au cœur de la cité.
« J’occupe dans l’espace public québécois une petite fonction qui est la mienne dans le courant nationaliste, une place à laquelle je tiens en dernière instance. Mes engagements existentiels civiques fondamentaux sont là. Je ne me serais pas vu abandonner cette contribution. […] Je vais rester en France. Un an ? Oui. Deux ans ? Peut-être. On verra. J’ai un billet de retour. On a un pays à faire au Québec. Mes convictions de base ne changent pas à ce sujet.
Ce reportage a été en partie financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.
Le Bock-Côté des choses
La journaliste Emmanuelle Walter est rentrée en France il y a un peu plus de trois ans après un long séjour au Québec. Elle est maintenant rédactrice en chef d’Arrêt sur images, site indépendant de critique des médias. Cette connaissance des deux sociétés et cette position au balcon d’observation du monde médiatique lui permettent d’autant mieux de juger le rôle joué par le Québécois Mathieu Bock-Côté (MBC).
« Moi, j’ai vu Bock-Côté dériver au Québec, dit Mme Walter. Il me semble qu’entre mon arrivée en février 2011 et mon départ en juillet 2018, il évolue vers un souverainisme étroit, conservateur et obsessionnel. Il y a peu de choses qui l’intéressent. Il ne sait parler que de ça, de son obsession identitaire, d’immigration. »
Arrêt sur images a publié plusieurs articles sur MBC, dont un joliment intitulé La France aime voir le Bock-Côté des choses.
« À force de marteler leur grille de lecture, Zemmour et les autres finissent par convaincre les gens que c’est vrai, que la France serait à feu et à sang, que deux civilisations s’entrechoquent, dit Mme Walter. Il y a eu mille fact checkings pour montrer que c’est faux. L’une des raisons majeures, encore plus forte en France qu’au Québec d’ailleurs, c’est le nombre de mariages mixtes. Je ne nie pas les attentats, l’islamisme, le djihadisme. Simplement, le paysage dressé par Bock-Côté et consorts de l’extrême droite n’est pas juste. »
Mme Walter parle d’un « agenda d’extrême droite » au cœur du groupe Vivendi, dont CNews fait partie. « Les médias de Vincent Boloré ont insufflé leurs idées dans la conversation nationale, dans les autres médias et les médias sociaux. Aujourd’hui, les gens n’ont plus peur de tenir ouvertement des propos anti-immigration primaire. Ils ont banalisé le racisme. Ils ont ouvert la fenêtre d’Overton. »
Cette « fenêtre du discours » désigne les idées et opinions considérées comme acceptables dans une société. « L’influence de Bock-Côté est donc très grande, mais il est loin d’être le seul de ce côté », conclut-elle.