L’esprit de «Science & Vie» réinventé dans le nouveau magazine «Epsiloon»

Le 16 mai dernier, 27 265 abonnés avaient déjà adhéré à un préabonnement au magazine «Epsiloon», ce qui dépasse de loin l’objectif à terme de 25 000 abonnés servant à assurer la viabilité du projet.
Photo: Michaël Monnier Archives Le Devoir Le 16 mai dernier, 27 265 abonnés avaient déjà adhéré à un préabonnement au magazine «Epsiloon», ce qui dépasse de loin l’objectif à terme de 25 000 abonnés servant à assurer la viabilité du projet.

Poussée dehors à force d’être dépossédée de son titre par son actionnaire Reworld, la rédaction de Science & Vie revient au journalisme scientifique par une autre porte. Celle-ci s’appelle Epsiloon, un nouveau mensuel dévoilé la semaine dernière et dont le premier numéro sortira en kiosque fin juin. Une quinzaine d’anciens journalistes de Science & Vie font partie du projet, dont huit en seront salariés permanents. À leur tête, leur ancien rédacteur en chef, Hervé Poirier, parti de Reworld en septembre 2020 après 21 ans au sein du titre.

Pour permettre la naissance d’Epsiloon, il a fallu le secours d’un éditeur de presse. C’est Emmanuel Mounier, adorateur de Science & Vie depuis son adolescence, qui est venu à leur rescousse. Son groupe Unique Heritage Media (UHM), plutôt orienté jeunesse, exploite les marques Fleurus Presse (Tout comprendre, Quelle histoire) et Disney Magazines (Le journal de Mickey, Picsou magazine). Plus d’un million d’euros seront investis dans le lancement de ce nouveau titre.

En espérant à terme 25 000 abonnés pour assurer la viabilité du projet. Une campagne de préabonnements a déjà été lancée lundi dernier sur la plateforme de financement participatif Ulule, avec, en ligne de mire, un objectif de 5000 préabonnements. Dimanche 16 mai, cet objectif était largement dépassé, affichant 27 265 abonnés.

On pense que le monde, c’est la science qui en parle le mieux. Les chercheurs révèlent ce réel toujours absurde, merveilleux, incompréhensible.

Bref, l’horizon est plus radieux qu’à Reworld, où plusieurs mois de tensions avec les actionnaires avaient conduit, début avril, la quasi-totalité de la rédaction à claquer la porte. Un départ collectif assez classique dans le groupe de presse magazine, qui a pour habitude de pousser les journalistes dehors pour les remplacer par des chargés de contenus. En réaction à cette situation, le ministère de la Culture avait lancé en décembre une mission sur les conditions d’accès aux aides à la presse.

Un rapport a été remis mi-mars, préconisant qu’elles soient liées à la présence de journalistes dans les rédactions. Une concertation entre éditeurs de presse et organisations syndicales de journalistes se déroule actuellement, en vue d’une réforme très attendue. Avec Epsiloon, le directeur de la rédaction, Hervé Poirier, veut prouver par l’exemple cette nécessité « d’une indépendance des journalistes, d’abord au service des lecteurs ». À Libération, il présente le projet éditorial de ce nouveau mensuel scientifique et dresse un constat amer de la lutte pour sauver Science & Vie.

Quelle est la genèse de ce nouveau magazine ?

Il y a eu pas mal d’épisodes précédant [cette] annonce. La première était mon départ de Science & Vie, causé par des questions d’indépendance et de moyens. J’ai été forcé de claquer la porte de la direction de la rédaction. Assez rapidement, Emmanuel Mounier, un amoureux transi de Science & Vie et actionnaire principal d’UHM m’a contacté. J’ai été très sensible à son approche, mais je n’avais pas donné suite puisque, seul, je ne pouvais rien faire.

Mon départ a été suivi de celui de mon adjointe Mathilde Fontez, qui avait vocation à prendre les rênes du journal. Elle ne les a pas eues puisque Reworld a décidé de les confier à quelqu’un d’externe. Une fois Mathilde partie, on a commencé à réfléchir à deux. Quand, quelques semaines après, on a commencé à voir que la quasi-totalité des journalistes internes et la majorité des pigistes externes partaient, j’ai repris contact avec Emmanuel Mounier.

On lui a dit qu’on pouvait garantir une équipe expérimentée, disponible, enthousiaste. De part et d’autre, on s’est dit : « Essayons une nouvelle marque. » Un magazine scientifique frais, nouveau, qui porte haut l’exigence journalistique et la passion de la raison, avec la conviction que la science, c’est incroyablement beau, amusant, pétillant.

Est-ce que ce sera ça, la ligne éditoriale d’Epsiloon ?

La tradition du journalisme scientifique, c’est de simplifier certains sujets compliqués. C’est la base de la vulgarisation. Quelque part, on ne veut pas être pédagogiques et vulgarisateurs. Epsiloon veut être un journal de l’actualité vue par la science. On pense que le monde, c’est la science qui en parle le mieux. Les chercheurs révèlent ce réel toujours absurde, merveilleux, incompréhensible. On le voit d’autant plus depuis l’apparition de la COVID-19. On veut donc rencontrer les chercheurs qui étudient ce réel avec leurs microscopes. C’est la garantie d’avoir toujours des histoires fraîches. Et de façon détendue, plus ouverte que Science & Vie ou Sciences & Avenir.

Le journal qu’on faisait à Science & Vieétait très intéressant, mais il avait ses défauts aussi. Il y avait un poids des années, de la tradition, des rubriques obligées. Plein de gens n’osaient pas y rentrer parce que ça leur faisait peur. Donc on essaiera d’être plus accueillant, moins effrayant. Dans certains cas, on veut prendre le parti pris inverse de la pédagogie : sur la 5G, la voiture électrique ou le bitcoin, des sujets intrinsèquement compliqués, on ne veut pas les simplifier, mais donner toutes les dimensions de cette complexité. On ne veut pas être des simplificateurs du monde.

Ce nouveau magazine signe-t-il la fin de votre lutte pour sauver Science & Vie ?

On a abandonné l’idée de pouvoir sauver Science & Vie de lui-même. On a essayé de convaincre les actionnaires que les décisions qu’ils prenaient étaient mauvaises pour cette incroyable marque de presse centenaire. On a fait beaucoup d’efforts, on les a incités à revendre. Mais on a pris acte du fait que, certes, un journal appartient à ses lecteurs et aux journalistes qui le font, mais qu’avant tout, il appartient à ses actionnaires. On a décidé de faire notre chemin ailleurs, mais en étant quelque part un concurrent frontal. De cette manière, on sauve l’esprit de Science & Vie, tout en le réinventant.

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