Les médias devaient-ils diffuser la photo du député fédéral nu?

La décision de plusieurs médias de diffuser la photo d’un député libéral qui s’est retrouvé nu devant sa caméra lors d’une séance virtuelle du Parlement mercredi soulève l’étonnement et l’incompréhension d’experts en déontologie journalistique. Il n’y avait aucun intérêt public à diffuser cette image, selon eux.
« On peut décrire l’anecdote facilement, pourquoi en plus montrer la photo ? Pour moi, c’est très problématique », réagit le professeur Marc-François Bernier, qui enseigne l’éthique et la déontologie du journalisme à l’Université d’Ottawa.
En pleine période de questions à la Chambre des communes mercredi, le député de Pontiac, William Amos, est apparu en tenue d’Adam à l’écran, ignorant visiblement que la caméra de son ordinateur était activée. Un détail qui n’a toutefois pas échappé à ses collègues parlementaires. La whip du Bloc québécois, Claude DeBellefeuille, s’en est d’ailleurs plainte juste après la période de questions, sans nommer le député.
« C’était une erreur malheureuse. Ma vidéo a été allumée accidentellement alors que je me changeais en vêtements de travail après avoir fait du jogging, s’est excusé William Amos quelques heures plus tard sur Twitter. « De toute évidence, c’était une erreur honnête et cela ne se reproduira pas. »
Seuls les députés et les employés fédéraux qui participaient à la séance de manière virtuelle ont pu voir cette scène inusitée. Plusieurs médias ont toutefois mis la main sur une image montrant William Amos complètement nu, dans un bureau, son sexe caché par son téléphone portable au moment de la capture d’écran.
La photo a rapidement fait le tour des réseaux sociaux, mais elle a également été diffusée par plusieurs médias à travers le Canada et même au-delà des frontières. Une décision qui en a fait sourciller plus d’un. Plusieurs internautes se sont même demandé s’ils pouvaient partager la nouvelle sur leurs réseaux sociaux, s’inquiétant d’avoir des problèmes avec la justice en relayant un contenu comprenant de la nudité.
Une erreur « chère payée »
Pour les experts en journalisme contactés par Le Devoir, l’utilisation de cette photo n’était pas nécessaire puisqu’elle n’apporte aucune information d’intérêt public aux lecteurs. Elle constitue même un « manque de respect à la dignité » du député et un « manque d’équité », selon Marc-François Bernier, de l’Université d’Ottawa.
« Même si la partie… stratégique, disons, a été cachée par un cellulaire, on voit tout de même beaucoup. C’est une forme d’instrumentalisation, une façon de tirer profit et d’exploiter la vulnérabilité de cet individu qui a commis une simple erreur », juge-t-il.
L’ancien directeur général de l’information à Radio-Canada Alain Saulnier, qui est aussi à l’origine du premier Guide de déontologie de la profession journalistique au Québec, abonde dans le même sens. « Il faut être conséquent comme média. Est-ce que la publication de cette photo va faire en sorte que cet homme-là va se retrouver mis de côté par sa famille et ses amis, ridiculisé et décrédibilisé par ses collègues ? Les médias ont aussi une forme de responsabilité, ils ne sont pas là pour faire le châtiment des personnes qui dérogent aux bonnes conduites de ce genre. […] C’est une erreur chère payée, je crois », insiste-t-il.
Aux yeux des deux experts, attacher de l’importance à une telle nouvelle en jouant une « image choc » qui va attirer les clics et les cotes d’écoute risque surtout de donner des armes à ceux qui accusent déjà les médias de faire du sensationnalisme.
Le Devoir a contacté plusieurs organisations de presse ayant diffusé la photo de William Amos pour comprendre leur choix éditorial. Parmi les répondants, le National Post a fait valoir qu’il était d’intérêt public de revenir sur la période de questions de mercredi et qu’il aurait été « difficile de rendre compte d’un tel événement sans montrer aux lecteurs ce que les députés ont vu ».
CBC évoque les mêmes raisons et précise que la décision a été prise après « une discussion éditoriale approfondie [du Bureau parlementaire à Ottawa], qui tenait compte des normes et pratiques journalistiques de CBC et, surtout, des questions d’intérêt public. » « Il est important de noter que la photo était dans le domaine public (via les médias sociaux et les fils de presse) au moment où nous l’avons diffusée », ajoute-t-on.
Précisons que Radio-Canada n’a pas diffusé la capture d’écran en question.
Chasse politique
Jeudi, plusieurs députés libéraux se sont portés à la défense de William Amos. Le leader du gouvernement, Pablo Rodriguez, a même demandé au président de la Chambre des communes de faire enquête sur l’origine de la capture d’écran transmise aux médias la veille. Il a laissé entendre que le partage de cette photo « pourrait très bien être » de nature criminelle.
La ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Anita Anand, a également exprimé sa préoccupation concernant le partage de la photo jeudi, lors d’un événement auquel M. Amos devait participer. Absent, ce dernier a pris « une journée de repos », a précisé la ministre Anand.
Avec La Presse canadienne