Une réorganisation qui inquiète à Radio Canada International

L’âme de Radio Canada International (RCI) risque d’être sacrifiée par une « transformation majeure » qui l’amputera d’une dizaine d’employés au sein de la société d’État, de l’avis d’un groupe de pression qui demande au gouvernement de Justin Trudeau de s’ingérer dans les décisions du diffuseur public afin de sauver le mandat international de ce média d’information destiné au reste du monde.
L’ancien premier ministre Joe Clark, l’ex-ambassadeur auprès de l’ONU Stephen Lewis, l’autrice Naomi Klein et l’auteur-compositeur-interprète Richard Desjardins font partie des 32 signataires d’une lettre datée de lundi et adressée au gouvernement Trudeau, qui demande à celui-ci d’intervenir pour empêcher Radio-Canada d’affaiblir son service international.
« Nous demandons […] que tout changement à RCI soit mis en attente jusqu’à ce que le personnel de RCI, accompagné d’un groupe de personnes qualifiées à l’extérieur de Radio-Canada/CBC, puisse proposer un plan pour reconstruire le service international », peut-on lire dans l’appel du Comité d’action de RCI.
Radio Canada International est un service distinct de la Société Radio-Canada (SRC) qui a pour objectif de rejoindre un public étranger et de livrer au reste du monde des informations selon la perspective canadienne. Créé durant la guerre froide, le service est d’abord radiophonique. RCI est passé entièrement sur le Web lors de l’abandon de la diffusion radio sur ondes courtes, en 2012.
Le 3 décembre dernier, le diffuseur public a annoncé une « transformation majeure de Radio Canada International pour réaffirmer son rôle et sa pertinence dans l’environnement médiatique du XXIe siècle. » On annonçait que le service serait désormais offert en pendjabi et en tagalog, ce qui fera passer l’offre de cinq à sept langues. Ce contenu sera désormais intégré aux sites de Radio-Canada et de CBC News, et des baladodiffusions seront créées dans plusieurs langues. Le service en français et en anglais, lui, sera supprimé. Un total de 16 postes seront abolis sur les 20 existants, mais cinq embauches supplémentaires fixeront à neuf le nombre d’employés de RCI à partir du 1er avril.
« [RCI] est dans une cage maintenant, où il y a des quotas de ce qu’on doit faire. On est en train de congédier presque tout le monde. Les gens qui restent vont faire des traductions des textes des sites Web de CBC et de Radio-Canada. Ça, ce sera notre service international », déplore le porte-parole du Comité d’action de RCI, le journaliste à la retraite Wojtek Gwiazda, joint par Le Devoir.
Celui qui a œuvré 35 ans au sein de Radio Canada International est nostalgique de l’institution que représentait ce service de diffusion radio au début des années 1990 : 200 employés, du contenu diffusé en 14 langues, avec un service de langue anglaise et française spécialisé en Europe, en Asie et en Afrique. Aujourd’hui, dit-il, RCI n’est plus que l’ombre de ce qu’il a déjà été. Il croit que ce service dit international vise plutôt les communautés immigrantes déjà au pays.
« Le problème, c’est que, depuis des décennies, l’administration de RCI est contrôlée par Radio-Canada/CBC, et le mandat de Radio-Canada est de faire une programmation pour les Canadiens. Et chaque fois qu’il y avait des coupes de budget, on était une cible facile », analyse-t-il.
La direction de Radio-Canada soutient au contraire que RCI ne changera pas de mandat, et que cette grande réorganisation sera en fait bénéfique pour la visibilité de ce service international.
« C’est vrai qu’on transforme, mais on augmente l’offre éditoriale de RCI. […] L’objectif est toujours d’informer notre auditoire à l’étranger, mais, par ailleurs, d’informer les nouveaux arrivants au Canada. C’est déjà le cas actuellement », précise Luce Julien, directrice générale de l’information de Radio-Canada, en entrevue au Devoir.
Elle assure qu’il n’y a aucun plan de mettre fin au service international et que cette transformation de RCI est motivée par « une question de vision » plutôt que par des contraintes budgétaires.
« On modernise, en fait. Je comprends que RCI a joué un rôle extrêmement important […] C’est ça mon rôle premier, c’est d’assurer la pérennité d’un service qui répond aux besoins de 2021. Pas aux besoins de 1990, pas aux besoins des ondes courtes à l’époque. Et je comprends que certains sont en désaccord, mais on ne peut pas recréer ce qui n’existe plus. Il y a l’Internet aujourd’hui. »
L’avenir de Radio Canada International n’a pas été un thème abordé lors des récentes audiences du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes sur le renouvellement des licences de la SRC. La communication de nouvelles canadiennes au reste du monde n’est pas non plus un thème qui a retenu beaucoup d’attention dans le cadre de l’élaboration du projet de loi C-10 du gouvernement Trudeau, qui vise à intégrer les géants du Web dans le giron réglementaire canadien.