Radio-Canada demande moins de contraintes pour concurrencer les géants du Web

La grande patronne de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait, comparaissait virtuellement lundi devant cinq commissaires du CRTC dans le cadre des premières audiences sur le renouvellement des licences du diffuseur public en près de neuf ans.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir La grande patronne de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait, comparaissait virtuellement lundi devant cinq commissaires du CRTC dans le cadre des premières audiences sur le renouvellement des licences du diffuseur public en près de neuf ans.

Son public ne jure plus que par le Web, est constamment bombardé de fausses nouvelles et exige de corriger le racisme systémique. Même l’auditoire francophone, autrefois protégé par l’isolement linguistique, est désormais bilingue et s’abreuve aux séries américaines sur des plateformes étrangères. Dans l’avenir proche dépeint par Radio-Canada dans le cadre de ses audiences devant le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), le seul salut de la société d’État réside en l’allègement de ses contraintes réglementaires.

« Est-ce que l’on voudrait vraiment un diffuseur public qui ne s’adresse qu’à une partie de la population, et ce, sur des plateformes qui sont en déclin ? », demande la grande patronne de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait, qui comparaissait virtuellement lundi devant cinq commissaires du CRTC dans le cadre des premières audiences sur le renouvellement des licences du diffuseur public en près de neuf ans.

Son plaidoyer se résume à une chose : pour plus de flexibilité, la programmation numérique du diffuseur doit être « comptée » dans le calcul du nombre minimal d’heures de contenu pour certaines catégories (information, jeunesse, etc.). Cela, alors que CBC/Radio-Canada ne reconnaît aucun pouvoir au CRTC sur ses plateformes virtuelles, déplorent certains intervenants.

Par exemple, Radio-Canada propose que rendre accessible une émission d’intérêt national sur sa plateforme Tou.tv, ou CBC Gem en anglais, puisse se substituer à son obligation de la diffuser à une heure de grande écoute, une exigence du CRTC à l’heure actuelle.

Rempart contre Netflix

 

Selon les propos de Catherine Tait, ces plateformes virtuelles, aux côtés d’autres comme TVA +, Crave et Club illico, représentent « notre meilleur rempart contre les géants comme Netflix, Apple, Disney et Amazon ». Le Canada serait même un leader mondial en baladodiffusion, avance-t-elle, grâce aux applications développées par le diffuseur OHdio et son cousin anglophone CBC Listen.

Le même enthousiasme entoure la production de journalisme pour le Web et les médias sociaux, comme en témoigne la création de Rad, en 2017, une brigade qui couvre les nouvelles pour les plateformes numériques sans faire de compromis sur les règles journalistiques. Grâce à Rad, « la marque de Radio-Canada est restée pertinente » pour les jeunes, va jusqu’à dire le vice-président des services français, Michel Bissonnette. « On essaie de trouver une manière de ne pas échapper une génération. »

Est-ce que l’on voudrait vraiment un diffuseur public qui ne s’adresse qu’à une partie de la population, et ce, sur des plateformes qui sont en déclin ?

Questionné par le président du CRTC, Ian Scott, sur le fait que Tou.tv offre un service payant (extra), forçant les contribuables à payer une seconde fois pour ce contenu, alors que les anglophones ont accès gratuitement à CBC Gem, Catherine Tait a mentionné le besoin « d’approfondir la relation avec [ses] téléspectateurs ». Le modèle de financement mixte, qui combine 1,2 milliard de dollars de subventions publiques à environ 500 millions de revenus publicitaires, d’abonnements ou autres, rendrait Radio-Canada dépendante de cette entrée d’argent pour la production de son contenu.

« Radio-Canada veut que lui soit donné du crédit pour sa production numérique, mais, en même temps, [ses dirigeants] insistent sur le fait que le CRTC n’a pas le droit d’encadrer l’activité numérique. C’est une position difficile à défendre », déplore Daniel Bernhard, directeur général du groupe de pression Les Amis de la radiodiffusion, qui présentera un mémoire très critique de la société d’État dans le cadre de ces audiences.

Selon lui, le CRTC pourrait théoriquement revendiquer une autorité sur les activités numériques de CBC/Radio-Canada sur le Web. Un projet de loi du gouvernement Trudeau, C-10, a été déposé cet automne pour expliciter cet aspect.

 

D’ailleurs, la présidente-directrice générale de CBC/Radio-Canada renvoie aux parlementaires toutes les critiques attendues pour d’autres jours d’audience au sujet du mandat et du financement de Radio-Canada. « Au cours des prochains jours, plusieurs des intervenants souhaitent profiter de cette audience pour discuter du mandat du diffuseur public et de son modèle de financement. Ce sont des questions qui relèvent du Parlement et qui sont liées à la Loi sur la radiodiffusion, une loi qui est actuellement en processus de révision », a souligné Mme Tait dans son message d’introduction.

Au cours de 13 jours d’audiences, étalées jusqu’au 27 janvier, 70 intervenants doivent prendre la parole. Malgré l’attente de l’adoption d’une nouvelle loi sur la radiodiffusion, le CRTC devrait renouveler la centaine de licences de télévision et de radio du diffuseur public pour une durée de cinq ans.

À voir en vidéo