Face aux géants du Web, Ottawa doit imiter l’Australie, plaident les producteurs canadiens de contenu

Au Canada, Google et Facebook contrôlent 80% de tous les revenus publicitaires en ligne.
Photo: Denis Charlet Agence France-Presse Au Canada, Google et Facebook contrôlent 80% de tous les revenus publicitaires en ligne.

Le Canada doit immédiatement adopter le modèle de l’Australie pour obliger les géants du Web à dédommager les médias traditionnels lorsqu’elles partagent leur contenu sur leurs plateformes, ont plaidé d’une seule voix jeudi les principaux éditeurs canadiens.

« L’exemple australien est celui qui représente le plus grand potentiel pour soutenir la demande journalistique et pour améliorer l’économie canadienne », tranche dans un rapport fouillé le collectif Média d’Info Canada. Celui-ci représente 800 titres à travers le pays, dont Postmedia, Québecor, Le Devoir, La Presse et le Globe and Mail.

Non seulement Ottawa doit-il implanter le modèle australien « dans les plus brefs délais », mais celui-ci peut être « reproduit à la lettre » dans un délai aussi court que 90 jours, disent les éditeurs. Car selon eux, les « défaillances du marché de la publicité numérique » sont à toutes fins pratiques les mêmes en Australie qu’au Canada.

Il faut dire aussi que les deux pays partagent plusieurs similitudes, relève le rapport de quelque 50 pages. « Ils ont des géographies étendues, des centres de population disparates, un écosystème médiatique hétérogène et des provinces avec un fort sentiment d’identité régionale en plus de l’identité nationale », est-il écrit. Leurs systèmes parlementaire et juridique sont également semblables.

Monopole

 

Au Canada, Google et Facebook contrôlent 80 % de tous les revenus publicitaires en ligne. D’où l’importance, face à ce monopole sans appel, de « forcer un partage équitable des revenus publicitaires », soutiennent les éditeurs canadiens.

En entrevue au Devoir en septembre dernier, le ministre fédéral du Patrimoine, Steven Guilbeault, a promis qu’un projet de loi redéfinissant les obligations des géants du Web dans l’écosystème canadien sera déposé d’ici les Fêtes. Le modèle de la France tout comme celui de l’Australie sont sur la table. Ottawa entend néanmoins, selon nos informations, faire respecter le concept pensé en France d’un « droit voisin » à celui du droit d’auteur.

Avant de formuler ses recommandations dévoilées jeudi, le collectif a d’ailleurs passé au peigne fin les approches de ces deux pays pour serrer la vis à Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM). Conclusion ? Le modèle mis en place par l’Australie « dispose de protections plus strictes pour les éditeurs et d’un processus pour entraîner les plateformes et les éditeurs à une table de négociation équitable ».

Toujours selon le collectif, l’approche australienne permettrait aux éditeurs canadiens d’aller chercher 620 millions de dollars chaque année de revenus supplémentaires. Elle permettrait de soutenir 700 emplois de journalistes et 2100 emplois de la presse écrite à travers le pays.

Adopter ce modèle rapporterait également au gouvernement fédéral des impôts annuels de 236 millions de dollars.

La recette australienne

 

L’approche australienne comporte plusieurs avantages, selon les éditeurs canadiens. D’abord, celle-ci n’implique aucune nouvelle taxe à la consommation ou frais d’utilisation, précise-t-on.

Le modèle impose également aux GAFAM — soit Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft — un code de conduite pour contrer toutes tentatives de « domination du marché » ou de « concurrence déloyale », par le biais de nouveaux algorithmes par exemple. Le Canada devrait d’ailleurs forcer ces plateformes à donner « un préavis de 28 jours pour tout changement d’algorithme affectant les éditeurs ».

L’Australie se sert en outre d’amendes salées, pouvant atteindre plusieurs centaines de millions de dollars, pour dissuader Google et Facebook de commettre la moindre infraction.

Le pays insulaire avait annoncé en juillet dernier qu’elle comptait forcer Google et Facebook à négocier avec les entreprises de presse une compensation pour l’utilisation de leur contenu. Afin d’établir un rapport de force plus équitable, l’initiative prévoit qu’un arbitrage serait imposé aux géants si la négociation n’aboutit pas. Les plateformes numériques n’avaient pas tardé à se plaindre. Facebook a même menacé de ne plus permettre le partage d’articles d’information sur sa plateforme dans le pays insulaire si le gouvernement allait de l’avant.

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