Guilbeault promet un projet de loi sur les géants du Web avant les Fêtes

Pandémie ou non, le gouvernement Trudeau déposera avant les Fêtes le très attendu projet de loi qui redéfinira les obligations des géants du Web dans l’écosystème canadien, a assuré vendredi au Devoir le ministre du Patrimoine, Steven Guilbeault. Et il fera bel et bien en sorte d’équilibrer le jeu entre les plateformes étrangères et les entreprises canadiennes, dit-il.
« À l’automne, c’est sûr », a réitéré M. Guilbeault, questionné sur la date de dépôt du projet de révision de la Loi sur la radiodiffusion. Celui-ci précédera un projet de loi distinct qui visera la rémunération appropriée des contenus d’information utilisés principalement par Facebook et Google, et dont Le Devoir faisait mention il y a dix jours.
Le projet ne date pas d’hier : le gouvernement avait annoncé dans le budget de mars 2017 son intention de procéder à un réexamen de la Loi sur la radiodiffusion, rendue en partie obsolète par l’arrivée des plateformes américaines dans le paysage de la consommation culturelle et médiatique.
Ottawa a en main depuis janvier dernier le rapport du comité d’experts sur l’avenir des communications au Canada, dirigé par Janet Yale. Il proposait une sorte de révolution du secteur : intégrer dans le giron réglementaire canadien toutes les entreprises qui bénéficient de son secteur audio et audiovisuel.
Il n’y a pas d’équité présentement. Les entreprises canadiennes doivent investir dans le contenu local, elles ont des exigences multiples à respecter. Les géants du Web font beaucoup d’argent et ne sont soumis à aucune exigence.
Le rapport Yale recommandait notamment que « l’ensemble des entreprises, [y compris] celles qui exploitent des plateformes mondiales en ligne et qui pour l’heure échappent à nos lois, contribuent équitablement et dans une mesure proportionnée […] aux impératifs découlant de nos politiques culturelles ».
Neuf mois plus tard, le ministre Guilbeault laisse entendre que cette idée sera au cœur du projet de loi en élaboration — sans que tout ce que proposait le rapport soit retenu.
« Il y a vraiment beaucoup de choses dans le rapport Yale, dit-il. Mais ce qu’on cherche à faire, c’est qu’il y ait équité, pour l’ensemble des joueurs dans la radiodiffusion au Canada. Que ce soit des entreprises plus traditionnelles, comme Bell ou Vidéotron, ou les géants du Web [Netflix, Disney, Spotify…]. Il n’y a pas d’équité présentement. Les entreprises canadiennes doivent investir dans le contenu local, elles ont des exigences multiples à respecter. Les géants du Web font beaucoup d’argent et ne sont soumis à aucune exigence. C’est très inéquitable et ça défavorise les entreprises canadiennes — et le contenu canadien. »
Mêmes « efforts »
Mais Steven Guilbeault dit que le cadre imposé aux plateformes étrangères ne sera pas exactement le même que pour les entreprises canadiennes. « Ce qu’on cherche à faire, c’est recréer un équilibre. Auront-ils les mêmes exigences ? Non. Mais le niveau d’efforts exigé de l’ensemble des joueurs sera semblable. »
Il évoque le fait qu’il serait impossible « d’exiger des licences » d’exploitation pour les plateformes étrangères. « Mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas imposer d’exigences. »
À cet égard, le comité Yale recommandait d’adopter un système mixte où le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) délivrerait toujours des licences d’exploitation pour les entreprises de radio et de télévision, mais forcerait les plateformes numériques à s’inscrire plutôt à un « régime d’enregistrement » (les médias d’information ne seraient pas assujettis à ce système).
Toutes les entreprises, qu’elles aient une licence ou qu’elles soient simplement enregistrées, devraient se voir « imposer des exigences en matière de dépenses ou des redevances », souhaitait le comité Yale.
L’OCDE au neutre
Par ailleurs, le projet d’imposer une taxe de 3 % sur les recettes des géants du Web au Canada n’a pas avancé depuis le début de la pandémie, a révélé M. Guilbeault. Dans ce dossier, le Canada ne veut pas bouger avant que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ne parvienne à un accord.
L’OCDE espérait régler cette question en juin 2020, mais la crise sanitaire a détourné les efforts des différents partenaires vers d’autres priorités. « On est là où on était il y a six mois », indique ainsi le ministre du Patrimoine. « Le dossier n’a pas beaucoup avancé. »
Mais l’objectif demeure, dit-il. « On veut avancer là-dessus de façon concertée avec nos partenaires de l’OCDE. Parce qu’on voit que, lorsque les géants du Web ou les États-Unis réagissent fortement, ce n’est pas tant sur le règlement de contenu ou la question des droits voisins. C’est sur la question des surtaxes. Là-dessus, ils ont la couenne très sensible. »