Chiens de garde, encore et toujours

Ce texte fait partie du cahier spécial Services essentiels
Selon le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Michaël Nguyen, le journalisme est essentiel pour relayer l’information liée à la COVID-19. « Il est aussi primordial dans son rôle de chien garde pour analyser, surveiller et vérifier les décisions publiques », lance le journaliste judiciaire.
Habitué à la proximité sociale qu’impliquait une couverture au palais de justice de Montréal, il n’y met presque plus les pieds alors que l’activité judiciaire est au ralenti. Cela ne l’empêche pas de sortir tous les jours de chez lui pour faire son travail. « Je privilégie toujours le terrain, surtout en temps de crise »,lance-t-il, ajoutant qu’il préfère prendre lui-même des risques, plutôt que voir ses collègues ayant des enfants en prendre.
Lorsque des barrages policiers ont été érigés entre les régions, il y a quelques semaines, le journaliste a été mandaté pour faire un compte rendu sur place. « C’est sûr que tu peux avoir de l’information en appelant la Sûreté du Québec, mais c’est vraiment sur place que tu comprends les choses, notamment pourquoi les gens passent les barrages », illustre-t-il. Il se souvient notamment de certaines personnes souhaitant changer de région pour aller dans une épicerie où les produits sont moins chers.
De nouvelles précautions sont évidemment à prendre afin de respecter les consignes de la santé publique, alors que le contact humain est au cœur même du métier de journaliste. Plus question de s’installer confortablement dans le salon des personnes avec qui on veut réaliser l’entrevue. On sonne à la porte, on recule de deux mètres et on discute sur le perron.
À la fin du mois de mars, Michaël Nguyen s’est d’ailleurs transformé en livreur d’épicerie bénévole le temps d’une journée. « Je me suis aperçu de la complexité d’une telle activité quand il faut respecter autant de consignes sanitaires », témoigne-t-il. La reconnaissance et la gentillesse des gens ont toutefois largement supplanté ces difficultés.
Adapter le quotidien
Gel désinfectant en poche, la journaliste au Devoir Annabelle Caillou s’est elle aussi rendue sur le terrain pour documenter les allures fantomatiques de l’aéroport Montréal-Trudeau. « Cela demande vraiment plus de préparation que d’habitude, affirme-t-elle, précisant s’être rendue à l’aéroport en transport en commun. J’ai dû coudre rapidement mon propre masque avec une manche de chemise. »
Afin de respecter les fameux deux mètres de distance avec ses interlocuteurs, Mme Caillou a confectionné une perche de fortune à l’aide d’une cuillère en bois, à laquelle son enregistreuse était attachée avec du ruban adhésif. « C’était un peu étrange de prévenir les gens que j’allais sortir une cuillère en bois pour éviter qu’ils soient trop surpris, mais au moins, ça a détendu l’atmosphère », raconte-t-elle.
C’est le silence, sur place, qui l’a particulièrement frappée. À défaut des messages habituels sur la sécurité des bagages, les haut-parleurs claironnaient plutôt les consignes de distanciation physique. En trois heures sur place, la journaliste a croisé une dizaine de voyageurs. Si certains travailleurs ont refusé de témoigner, les voyageurs ne semblaient toutefois pas si inquiets et se sont montrés ouverts à raconter leur histoire.
L’une des entrevues s’est d’ailleurs révélée particulièrement émouvante. « C’était un monsieur qui revenait d’un voyage à Paris. Il y était parti avec son père, indique-t-elle. Il ne disait rien, mais je voyais bien qu’il était tout seul et que ses yeux commençaient à se brouiller. » Finalement, elle apprend que le père de l’homme a attrapé la COVID-19 là-bas puis y était décédé.
Outre ce reportage, Annabelle Caillou n’a pas eu beaucoup d’autres occasions de se rendre sur le terrain, à l’heure où tous les rassemblements sont interdits. « D’habitude, on rencontre les gens chez eux ou dans des cafés qui sont maintenant fermés, donc je travaille davantage de la maison », dit-elle. Les réseaux sociaux, nouveau terrain virtuel, prennent ainsi une part plus importante dans la recherche d’histoires et de témoignages.
C’est le cas de nombreux autres journalistes aujourd’hui, qui n’ont pas les moyens de se déplacer, mais qui continuent leur mission depuis chez eux. « Les gens ne peuvent pas simplement s’informer en regardant les points de presse quotidiens du gouvernement, conclut-elle. Nous avons un rôle à jouer pour vérifier ce qui est annoncé et surtout pour donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. »
Tous les jours au front
Marie-France Coallier, photojournaliste depuis une trentaine d’années, a retrouvé Annabelle Caillou à l’aéroport de Montréal pour mettre en images son reportage. « On voyait de nombreux taxis attendant des gens qui n’arrivent pas, dit-elle. C’était aseptisé, vide. »
Ayant documenté des manifestations, des incendies, des émeutes et même des prises d’otage, c’est bien la première fois qu’elle assiste à une pandémie. « C’est important que l’on soit là pour documenter cette crise sanitaire et sociale qui touche tout le monde », croit-elle.
Sur le terrain presque tous les jours depuis le début de la crise, elle a observé un changement surréel du paysage visuel de Montréal, à mesure que les rues se vidaient de leurs voitures, piétons et cyclistes. « En même temps, on remarque davantage la présence des itinérants, ça saute vraiment au visage », indique-t-elle.
Sa pratique quotidienne s’est aussi progressivement transformée. Son visage caché par un masque de protection, Marie-France Coallier a ainsi pris l’habitude d’utiliser des focales plus longues pour photographier ses sujets de loin. Pour un reportage sur la réalité des personnes nouvellement au chômage, elle a pris ses clichés au travers d’une fenêtre. Au fur et à mesure, la distance s’est installée.
« Ma voiture est devenue mon bureau, ajoute la photojournaliste, qui a équipé son véhicule de rideaux pour être capable de bien voir son écran d’ordinateur. J’ai même une toilette de camping portative ! »Difficile, en effet, de trouver des endroits ouverts pour ce besoin primaire lorsque l’on est constamment sur la route.
Quand elle revient chez elle, le soir, Marie-France Coallier doit redoubler d’attention. Les chaussures restent à la porte, le matériel de photographie est désinfecté méticuleusement, de même que les vêtements, le masque et les gants.
Ce rythme exigeant, elle l’accepte et le vit relativement bien. « C’est naturel pour moi de vouloir aller au front afin de montrer aux gens ce qui est en train de se passer », confie-t-elle. Le jeu, certes risqué, en vaut largement la chandelle selon la photographe, car il est crucial d’avoir des preuves écrites et visuelles detoutes les réalités qui composent cette crise historique majeure.
Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.