La crise sanitaire amplifie les difficultés des journaux

La presse quotidienne, gratuite ou non, est ébranlée par les chutes publicitaires causées par les mesures de contrôle de la COVID-19.
Illustration: Sébastien Thibault La presse quotidienne, gratuite ou non, est ébranlée par les chutes publicitaires causées par les mesures de contrôle de la COVID-19.

Hebdos, quotidiens, magazines et autres médias en tout genre pullulent de contenus éclairants sur le coronavirus. Et pourtant, depuis une semaine, dans la foulée des mesures pour empêcher la propagation de la COVID-19, les annonces de compressions de personnel, de réduction des heures de travail ou de l’arrêt de certains contrats de pigistes se multiplient dans les entreprises de presse. Déjà fragiles, les voilà grippées.

Le jeu de domino est tristement simple, expliquent les différents acteurs. Comme le gouvernement Legault demande d’éviter les rassemblements et a décrété notamment la fermeture des salles de concert et des différentes écoles, l’industrie de la culture, le monde des sorties et de l’événementiel ainsi que le commerce au détail écopent durement. Ce n’est donc pas le temps pour eux d’acheter des publicités dans les médias, qui avaient prévu ces entrées d’argent dans leur budget déjà serré.

Mercredi, le journal Voir annonçait sur sa page Facebook que sept employés (dont cinq à la rédaction) étaient mis à pied pour les six prochains mois. Le quotidien gratuit Métro Montréal a dit au revoir à ses chroniqueurs pigistes, et de nombreux employés d’hebdomadaires, dont certains à l’emploi de Lexis Média et d’IciMédias, sont restés à la maison.

« C’est comme un arrêt subit, un train qui mettrait les freins », illustre Renel Bouchard, président d’IciMédias, un groupe qui rassemble 23 des quelque 130 hebdomadaires du Québec. Parce qu’elles dépendent des revenus publicitaires, ces publications gratuites et locales sont « dans les plus fragiles », dit-il.

« On a fait des mises à pied qui représentent de 30 à 50 % de nos employés, selon les régions, explique M. Bouchard. C’est quand même beaucoup, on a près de 200 employés ». Certains journaux d’IciMédias ont vu fondre leurs revenus publicitaires de 30 % pour l’édition la plus récente. « Et pour les éditions suivantes, ça va être pire. Les commerces sans clients, ils n’annoncent pas », tranche-t-il. Il a aussi réduit le nombre de pages de ses publications.

« C’est paradoxal, parce qu’avec la pandémie, les gens ont plus que jamais besoin de l’information, mais moins que jamais les journaux n’ont de moyens pour en produire », affirme M. Bouchard.

Le magazine Voir fait aussi un lien direct entre le coronavirus et l’état de ses finances. Le président et directeur général de Mishmash Média, Nicolas Marin, allait relancer la marque Voir, mais a décidé de repousser le tout. « Les partenaires avec qui c’était plus plausible qu’on travaille c’était le secteur culturel et les sorties, explique-t-il. En ce moment, les boîtes de représentants publicitaires avec qui on travaille gèrent des volumes d’annulations importants pour avril, mai et juin. On parle d’entre 50 et 60 % d’annulations de campagnes publicitaires. »

La presse quotidienne, gratuite ou non, est aussi ébranlée par les chutes publicitaires causées par les mesures de contrôle de la COVID-19. Au journal Métro, distribué dans des stations de métro maintenant peu fréquentées, la direction a pris la décision de ne plus faire appel, sauf exception, au service de ses chroniqueurs pigistes. « On a essayé de protéger notre rédaction, a expliqué son vice-président Andrew Mulé. La réalité chez nous, c’est qu’on est entièrement gratuit, on est totalement lié aux revenus venant de nos clients. Et malheureusement, nos clients, pour la majorité d’entre eux, souffrent des fermetures forcées. Indirectement, ça nous cause de la perturbation. »

C’est paradoxal parce qu’avec la pandémie, les gens ont plus que jamais besoin de l’information, mais moins que jamais les journaux n’ont de moyens pour en produire

M. Mulé voulait aussi concentrer ses efforts sur la couverture du coronavirus, alors que la grande majorité des chroniques « étaient du divertissement ». Quant au maintien des effectifs de sa rédaction, il ne peut rien affirmer. « C’est minute par minute. Je ne regarde même la semaine prochaine. »

Au Devoir, le directeur, Brian Myles, compare ce qui arrive aux médias à « un accident de la route ». « Le Devoir a un modèle fondé davantage sur l’abonnement, le choc est un peu moindre, mais le choc est réel. Ça force à revoir les projets pour l’avenir et à envisager tous les scénarios possibles pour être capables de comprimer les dépenses si on n’y arrive pas. »

M. Myles évoque un recentrage des efforts du journal sur tout ce qui touche le coronavirus, qui pourrait « s’accompagner d’actions concrètes pour réduire certains champs de couverture qui ne retrouvent peut-être plus leur public », au culturel notamment. Du même souffle, le directeur du quotidien renvoie « la responsabilité aux annonceurs et en particulier aux gouvernements de réinvestir dans la publicité dans les médias locaux et de le faire avec un souci d’équité. »

Des magazines et des pigistes

Chez Québec Science, on a demandé à la petite équipe de journalistes de travailler quatre jours par semaine « pour réduire la masse salariale », note la rédactrice en chef Marie Lambert-Chan. Aussi, le numéro « avril-mai » sera envoyé aux abonnés, mais ne sera pas distribué en kiosque dans sa version papier — en partie en raison de contraintes de son distributeur. Le numéro de juin, lui, a été repoussé d’une semaine, « parce que beaucoup d’annonceurs ont décalé leurs achats et d’autres ne répondent juste pas. » Le magazine dépend en partie des publicités des universités, qui sont encore fermées.

Quant aux pigistes, qui sont travailleurs autonomes, ils sont aussi très inquiets de la crise actuelle, note la présidente de l’Association des journalistes indépendants du Québec, Gabrielle Brassard-Lecours. « Il y en a qui ont zéro revenu et surtout plus rien devant eux. Aucune rédaction, aucun magazine ne peut prévoir ce qui va se passer. » L’AJIQ est en lien avec la Fédération des journalistes du Québec et la Fédération nationale des communications (CSN), et espère des mesures d’aides du gouvernement fédéral.



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