«La Presse» ouvre une brèche dans la gratuité

Les employés de «La Presse» étaient réunis jeudi matin au Palais des congrès à l’invitation du président Pierre-Elliott Levasseur.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne Les employés de «La Presse» étaient réunis jeudi matin au Palais des congrès à l’invitation du président Pierre-Elliott Levasseur.

Alors qu’il est aux prises avec un marché publicitaire en chute et qu’il navigue maintenant en OBNL hors du créneau de Power Corporation, le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, a présenté jeudi matin aux employés son plan de développement, qui comprend 37 départs volontaires. Et pour « retrouver l’équilibre budgétaire », le patron compte diversifier les sources de revenus de la boîte, en ouvrant entre autres une brèche dans la gratuité de La Presse+.

En rencontre avec Le Devoir dans son bureau, à un jet de pierre du Palais de congrès où il venait d’annoncer les compressions à la direction et aux syndiqués, Pierre-Elliott Levasseur a défendu le modèle de gratuité de La Presse+.

« Le contenu de La Presse ne devrait pas juste être accessible à ceux qui peuvent se le payer. Si on veut avoir un impact sur la démocratie, si on veut jouer notre rôle d’informer les gens, d’animer des débats, de donner des perspectives différentes, [La Presse] ne doit pas être qu’accessible à ceux qui peuvent se la payer. On ne peut pas jouer ce rôle-là de manière importante si on n’est pas gratuit, généralement. »

Achats intégrés

 

Généralement ? Un tout petit mot qui ouvre une brèche dans le modèle d’affaires, concède M. Levasseur. Dans la situation financière actuelle du journal, la direction « n’a pas abandonné cette idée » d’en tirer des revenus. « Je pense que l’idée de trouver une stratégie de revenus-lecteurs, ça existe ailleurs. Mais il faut avoir une approche qui est plus moderne » que celle d’un abonnement ou d’un mur payant.

M. Levasseur donne l’exemple d’Ubisoft, qui, au lieu d’augmenter le prix de ses jeux, y a ajouté la possibilité d’achats intégrés — payer pour acquérir une compétence, par exemple. Il cite aussi le quotidien britannique The Guardian, où « tous les contenus sont disponibles sur toutes les plateformes, [mais pour] certaines fonctionnalités à valeur ajoutée, là ils facturent ».

En ce sens, « il pourrait y avoir des achats intégrés dans La Presse+. C’est là où je n’entrerai pas dans tous les détails, mais on travaille très fort avec plusieurs équipes pour trouver des solutions. Et on a des pistes très prometteuses ».

Le président Levasseur ajoute qu’au Guardian, entre 3 et 5 % des lecteurs, qu’il appelle les « grands utilisateurs », voient de la valeur « dans le packaging, dans les fonctionnalités ajoutées et qui payent pour assurer que le Guardian est gratuit pour tout le monde ».

Des départs

 

Un autre volet du plan stratégique de La Presse réside en ces 37 départs volontaires demandés par la direction. Du lot, 19 postes relèveraient de la rédaction.

Tous les employés pourront s’en prévaloir — même les cadres —, et le programme ne comprend pas de limitation sur l’âge ou l’ancienneté des travailleurs. La plupart des départs devront avoir lieu avant le 28 décembre prochain, selon La Presse canadienne.

« Ce programme de départs volontaires a été négocié avec les syndicats. Il est généreux, plus généreux que ceux qu’on a vus dans le passé, a expliqué Laura-Julie Perreault, présidente du syndicat des travailleurs de l’information de La Presse. Tout le monde avait hâte de savoir ce qui allait se passer. Les choses ont été bien faites, les syndicats ont été rencontrés à l’avance. Et le programme de départs volontaires, on pense que c’est la meilleure manière de gérer le genre de situation comme celle-là. »

Pierre-Elliott Levasseur a parlé d’un « exercice responsable », où la haute direction a analysé les façons de faire de chaque département. « On a réalisé qu’on peut opérer aussi efficacement » malgré les départs. La Presse compte quelque 550 employés, dont 220 dans la salle de rédaction.

En mai, lors de l’annonce du passage en OBNL, La Presse disait pourtant qu’aucune perte d’emploi n’était envisagée. Pierre-Elliott Levasseur précise que depuis, certains secteurs d’activités du marché publicitaire ont été secoués davantage que prévu.

« On a reçu l’enveloppe de 50 millions prévue dans le changement de structure d’entreprise, on tente [de s’attaquer à] une partie importante de notre débalancement publicitaire aujourd’hui, et puis après on poursuit nos initiatives de diversification des revenus. »

L’argent d’Ottawa

D’ailleurs, dans son plan de développement, M. Levasseur compte aussi sur les dons du public — un exercice qui n’est pas encore entamé —, mais aussi sur l’aide d’Ottawa.

« Ça fait 18 mois [que les médias] discutent avec le gouvernement fédéral pour obtenir un programme d’aide. Ils ne nous ont rien annoncé […], mais ce que je peux dire, c’est qu’on a des discussions qui sont très constructives depuis plusieurs mois. »

Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a pour sa part dit qu’il est « toujours triste lorsqu’on voit qu’un journal fait des mises à pied ». Il a ajouté multiplier les rencontres avec les patrons de presse et les syndicats « pour trouver des façons dont on peut travailler avec eux pour leur venir en aide ».

Rappelons qu’en juillet, Pierre-Elliott Levasseur avait annoncé la nomination du juge à la retraite Louis LeBel à la tête de la fiducie d’utilité sociale de La Presse, une entité qui rend la publication indépendante de son ancien propriétaire Power Corporation. La présidence du conseil d’administration avait aussi été confiée à Alain Gignac.

Résultats de Power Corp.

Dans ses résultats publiés jeudi, Power Corp. a inscrit une charge de 54 millions liée au dessaisissement des activités de La Presse le 14 juillet dernier. Cette écriture inclut la contribution financière de 50 millions en appui à la transformation du quotidien en un organisme à but non lucratif. Au total, pour les neuf premiers mois clos le 30 septembre, le bénéfice net de Power s’est chiffré à 1,06 milliard, ou à 2,28 $ par action, en recul de 2 % sur celui de 1,08 milliard, ou 2,33 $ l’action, des neuf premiers mois de 2017. Dans « Autres filiales », qui abrite notamment Groupe de communications Square Victoria (Gesca), la perte est passée de 65 à 72 millions entre les deux périodes de comparaison.

Gérard Bérubé


À voir en vidéo