La «haine du journalisme» menace les démocraties, selon Reporters sans frontières

Les États-Unis de Donald Trump, pays du 1er amendement qui sacralise la liberté d’expression, perdent deux places au classement, et tombent au 45e rang.
La liberté de la presse s’est encore dégradée dans le monde l’an dernier, et le climat de haine à l’encontre des journalistes qui se développe notamment en Europe et aux États-Unis menace les démocraties, s’inquiète l’ONG Reporters sans frontières dans son rapport annuel publié mercredi.
La carte du monde dressée par RSF à partir de son classement mondial de la liberté de la presse s’est encore assombrie : 21 pays sont désormais placés en situation « très grave », un niveau record, l’Irak ayant rejoint cette année cette catégorie où figurent des régimes autoritaires comme l’Égypte (161e), la Chine (176e) ou la Corée du Nord, toujours en 180e et dernière position.
Cependant, les discours de haine et les attaques contre la presse ne sont plus l’apanage des États autoritaires, confirme ce rapport.
Quatre des plus forts reculs enregistrés cette année concernent des pays européens : la République tchèque, dont le président, Milos Zeman, s’est présenté lors d’une conférence de presse avec une kalachnikov factice portant l’inscription « pour les journalistes », dégringole de onze places à la 34e ; la Slovaquie, où l’ex-premier ministre Robert Fico a traité les journalistes de « sales prostituées anti-slovaques » et de « simples hyènes idiotes » ; Malte, où une journaliste anticorruption a été assassinée, chute de dix-huit places au 65e rang, et la Serbie en perd dix (77e).
Les États-Unis de Donald Trump, pays du 1er amendement qui sacralise la liberté d’expression, perdent quant à eux deux places au classement, et tombent au 45e rang.
« Ce classement traduit un phénomène malheureusement manifeste, la croissance dans bon nombre de démocraties de l’expression de la haine contre les journalistes, et la libération de cette haine est vraiment dangereuse », résume Christophe Deloire, secrétaire général de l’organisation, interrogé par l’AFP.
« Un feu politique dangereux »
Un phénomène qui touche selon lui « des démocraties aussi différentes que les Philippines (133e), avec le président Duterte qui prévient qu’être journaliste “ne préserve pas des assassinats”, qu’en Inde (138e) où des armées de trolls à la solde des partis politiques appellent à la haine des journalistes, ou les États-Unis où Donald Trump les qualifie d’“ennemis du peuple”, une formule prisée par Staline ».
En outre, RSF s’alarme de la multiplication des violences verbales contre la presse en Europe, où deux journalistes ont été assassinés ces derniers mois (le Tchèque Jan Kuciak et la Maltaise Daphne Caruana Galizia).
Si la Norvège maintient son 1er rang au classement, « il y a une inquiétude très forte pour les démocraties européennes », estime M. Deloire.
« Alors que l’Europe est de loin le continent où la liberté de la presse est la mieux garantie, ce modèle européen s’affaiblit : quatre des cinq plus grandes baisses du classement sont en Europe, la zone dont l’indice global subit la plus grande dégradation, c’est l’Europe, et l’expression de la haine mène in fine à des violences physiques », dénonce-t-il.
La France ne fait pas exception. Bien qu’elle progresse de six places, au 33e rang, un mouvement lié principalement au recul de plusieurs pays voisins, RSF y relève que « le “mediabashing”, ou le dénigrement systématique de la profession par certains leaders politiques, a connu son paroxysme pendant la campagne électorale de 2017 », et que « certains responsables continuent d’utiliser cette rhétorique pour attaquer les journalistes quand ils sont mis en difficulté », à l’instar du leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, qui a écrit récemment que « la haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine ».
Pour RSF, ce climat délétère envers la presse sape l’un des fondements essentiels des démocraties.
« Ceux qui récusent la légitimité des journalistes jouent avec un feu politique extrêmement dangereux. Les démocraties ne meurent pas que par des coups d’État, mais elles peuvent mourir aussi à petit feu, et l’une des premières bûches, c’est généralement la haine envers les journalistes », prévient Christophe Deloire.