Trop peu de place pour l'international dans les médias québécois?

Un journaliste discutait avec un membre des forces armées israéliennes à Hébron, en décembre 2017, à la suite de la décision du président Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale israélienne.
Photo: Hazem Bader Agence France-Presse Un journaliste discutait avec un membre des forces armées israéliennes à Hébron, en décembre 2017, à la suite de la décision du président Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale israélienne.

Faute de moyens, les médias québécois ont dû réduire considérablement leur couverture internationale. Les entreprises de presse gagneraient pourtant à envoyer plus de journalistes à l’étranger alors que les Québécois sont plus que jamais connectés sur le monde, postule le recueil Angles morts internationaux lancé samedi par la revue L’Esprit libre, idée dont Le Devoir a discuté avec quelques acteurs du milieu.

Contrairement aux États-Unis ou au Royaume-Uni, le Québec « n’a pas une grande histoire de relations internationales », rappelle d’entrée de jeu Guillaume Lavallée, professeur de journalisme à l’École des médias de l’UQAM. Avec leurs revenus publicitaires qui migrent dans les poches de Google, Facebook et consorts, la marge de manoeuvre des médias d’ici n’a jamais été aussi restreinte, forçant des choix qui, bien souvent, se font au détriment de la couverture internationale.

En 2016, la couverture moyenne de l’international dans les médias québécois oscillait autour de 4,09 %, selon la firme Influence Communication. Ce taux a légèrement grimpé à 6,17 % en 2017, dopé par les frasques du président américain, Donald Trump.

Acculés à des choix financiers difficiles, les médias réduisent d’autant plus volontiers l’information internationale que l’intérêt des Québécois pour cette matière est modeste. Selon le plus récent coup de sonde du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval, mené en 2016, l’information internationale se classait derrière la météo, et tout juste devant les faits divers.

Agnès Gruda refuse pourtant de jeter la pierre aux lecteurs. Journaliste chevronnée au quotidien La Presse, affectée à la couverture internationale, elle estime qu’il y a plutôt ici « une question de priorité » à défendre. Car même dans la contrainte, les rédactions font des choix.

Ce n’est pas une surprise, envoyer des journalistes sur le terrain à l’étranger a un prix. Au Québec, seul Radio-Canada peut compter sur une poignée de correspondants. La vaste majorité des médias s’en remettent plutôt aux agences de presse, ou à des pigistes quand leur portefeuille le leur permet.

Les sujets sont donc choisis avec soin. « Je me faisais souvent taper sur les doigts parce que j’achetais trop de piges », dit Mme Gruda, se rappelant les années où elle coordonnait la section internationale du quotidien de la rue Saint-Jacques.

« Aujourd’hui, on couvre surtout les crises et on n’a plus le temps pour le reste, déplore-t-elle au téléphone. Lorsqu’il y a un attentat, tout le monde se jette sur l’événement. On va avoir la caméra braquée sur un pays pendant trois semaines et, après ça, on l’oublie complètement. »

« La moitié de notre couverture internationale est occupée par les États-Unis, et un quart par l’Europe, renchérit Nicolas Saucier, chargé de cours au Département d’information et de communication de l’Université Laval. Ça laisse un quart pour le reste du monde, et beaucoup de choses sont oubliées. »

Le facteur numérique

 

Ces observations et critiques se retrouvent en filigrane dans Angles morts internationaux. L’ouvrage coordonné par Thomas Deshaies et Mariane Ménard rassemble des articles sur des sujets peu couverts par les médias québécois, si ce n’est carrément passés sous silence. Le collectif d’auteurs en profite pour dénoncer le « manque d’audace » des médias, « qui les amène à restreindre leur couverture des phénomènes sociopolitiques internationaux ».

Symptôme d’une couverture plus en plus anémique ? Les lecteurs d’ici sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les plateformes numériques des grands médias internationaux, comme le Britannique The Guardian ou le réputé New York Times. Ce dernier a d’ailleurs nommé un correspondant canadien basé à Montréal, Dan Bilefsky, afin de tirer profit de la hausse de ses abonnés numériques en sol québécois.

« Les gens trouvent facilement de l’information internationale sur le Web, mais ce n’est jamais l’angle québécois, nuance Nicolas Saucier. On perd quelque chose puisque l’intérêt d’avoir des correspondants québécois ou canadiens à l’étranger réside dans les parallèles qu’ils peuvent faire. Ils connaissent leur public, ils peuvent faire une analyse qui est plus pertinente en y ajoutant du contexte. »

« Même si je crois que les médias vont continuer d’être les clients des agences de presse, on a besoin d’avoir des journalistes québécois, renchérit Guillaume Lavallée, qui a été correspondant de l’Agence France-Presse au Soudan, au Pakistan et en Afghanistan. Il faut expliquer le monde aux Québécois avec des référents familiers pour qu’ils puissent comprendre et qu’on puisse aussi avoir un droit de regard sur ce qui se passe dans le monde. »

« Les agences de presse jouent un rôle absolument essentiel, mais les médias sont là pour approfondir davantage ou élargir en prenant la nouvelle sous un autre angle », fait valoir pour sa part Agnès Gruda.

Un cul-de-sac ?

Si les intervenants interrogés par Le Devoir jugent tous qu’il est essentiel d’offrir aux Québécois des reportages signés par des journalistes d’ici, les coûts élevés que représente un tel exercice reviennent aussi. Sommes-nous devant un cul-de-sac ? « Il n’y a pas de solution miracle », concède Nicolas Saucier.

Le chargé de cours suggère un soutien de l’État — « une question délicate », précise-t-il —, mais dit préférer que cela vienne du mécénat.

À pareille date l’an dernier, Guillaume Lavallée lançait le Fonds québécois en journalisme international, épaulé par l’ex-journaliste au Devoir et désormais conseiller au CERIUM Jean-Frédéric Légaré-Tremblay et la journaliste à La Presse Laura-Julie Perreault. Leur but ? Donner un coup de main aux rédactions pour financer la production de reportages à l’étranger afin d’offrir aux Québécois « une information internationale qui prend en compte nos débats de société, notre histoire et le rapport au monde qui nous est propre ».

Le projet a rapidement reçu plusieurs appuis, dont celui de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Il a réussi à convaincre des donateurs de contribuer au fonds, mais se bute pour l’instant au silence radio des gouvernements provincial et fédéral.

Angles morts internationaux

Collectif, L’Esprit libre, Montréal, 2018, 175 pages

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