«Dans la guerre, il s'agit de tuer»

Hier, des jeunes Irakiens ont exprimé leur joie après la destruction d’un convoi américain en banlieue de Bagdad.
Photo: Agence Reuters Hier, des jeunes Irakiens ont exprimé leur joie après la destruction d’un convoi américain en banlieue de Bagdad.

New York — Ici un soldat ensanglanté sur une civière, là un cadavre de Marine dans un sac... Depuis le début de la dégradation de la situation en Irak, les médias américains n'hésitent plus à montrer la guerre sous son jour le plus réaliste.

«Nous revenons à une couverture plus normale. Dans une guerre, il s'agit de tuer», relève Jim Naurekas, de l'organisation d'analyse des médias FAIR, alors que les images diffusées tout au long de cette semaine ne sont pas sans rappeler celles très crues de la guerre du Vietnam.

Hier, le coeur de la une du USA Today, seul quotidien national du pays, montre en gros plan un Marine blessé, visage de la détresse, avec tout autour de lui les mains de camarades s'activant.

Le prestigieux New York Times comme le tabloïd New York Post ont retenu la photo d'un groupe de soldats se tenant par l'épaule et priant, penchés sur l'un des leurs, tué à Fallouja. Du mort, encore vêtu de sa tenue de treillis et posé sur un plastique à même le sol, on aperçoit le torse dénudé.

La levée d'un tabou

Le changement est net, alors que jusque-là «les médias ont été extrêmement réticents à publier des images de soldats américains blessés ou morts. C'était un des grands tabous de cette guerre», dit M. Naurekas.

Depuis le Vietnam, les gouvernements font de leur mieux pour contrôler les images, interdisant depuis la guerre du Golfe la présence — longtemps traditionnelle — de photographes au retour des cercueils. Mais là, il s'agissait surtout d'«autocensure» des médias, selon l'expression de Naurekas, due au contexte post-11 septembre: «Il y avait ce sentiment que faire quoi que ce soit qui puisse nuire au soutien du public à la guerre était antipatriotique.»

Pour Robert Thompson, professeur de communication à l'université de Syracuse, le tournant est lié à celui des événements sur le terrain et à Washington, où les éléments politiques s'accumulent.

«Les télévisions et journalistes américains hésitent moins à montrer dans le détail qu'avant, quand il y avait cette unité nationale, dit-il. Beaucoup commencent à voir que ces images représentent une réalité à laquelle on doit se confronter.»

Ce sont les images des civils américains mutilés à Fallouja qui ont «brisé le tabou», estime Jim Naurekas: «C'était difficile de rapporter l'histoire sans les photos.»

Alors depuis une semaine, les images défilent, évitant juste de montrer le visage des victimes.

CNN a montré en boucle jeudi ce soldat au bas ventre ensanglanté évacué dans un camion, ou ces Marines blessés s'extrayant avec peine de leur char.

Nombre de journaux ont reproduit la photo d'un Marine portant à l'épaule le cadavre d'un camarade dans un sac de plastique noir, «mort en tentant de repousser les vagues d'attaques rebelles dans la ville sunnite de Ramadi», écrit simplement le Daily en légende.

Jeudi, en une du New York Times et du Washington Post, des soldats courent pour évacuer, sur une civière, un camarade blessé. Une double page dans le populaire NewsDay montre en gros plan un soldat «en larmes après avoir appris la mort d'un autre Marine dans une embuscade à Fallouja» et «la course d'un [4X4] Humvee alors qu'un infirmier de la Navy tient la main d'un Marine blessé dans une embuscade».

«Cela peut affecter l'opinion. C'est connu, les images ont un impact émotionnel bien plus fort que les mots», relève Jim Naurekas, tout en se demandant si ce sont les images ou tout simplement les événements qui auront raison du public.

Pour Robert Thompson, la durée fera la différence. «Aucune image en soi, aussi horrible soit-elle, ne modifie vraiment l'opinion, c'est plutôt le flux de ces images. Encore quelques semaines comme celle que nous venons de vivre et il y aura un vrai changement. Lors de la guerre du Vietnam, nous recevions beaucoup d'images effrayantes, mais c'est seulement à partir du moment où nous avons été là-bas depuis un moment et que ces images ne cessaient pas que l'opinion publique a commencé à changer.»

À voir en vidéo