Les jeunes au coeur de la cible de Vice Québec

Le populaire groupe Vice Media a beau avoir comme pierre d’assise son magazine fondé à Montréal en 1994, la présence de ce pionnier du journalisme frondeur et audacieux était restée plutôt discrète au Québec, jusqu’à la création plus officielle de Vice Québec, qui a officiellement investi le marché il y a un an — malgré la présence du « Vice du jour » depuis plus longtemps. Bilan ? L’entreprise qui veut parler aux 18-34 ans prend de l’expansion et plonge encore plus dans la production vidéo de toutes sortes.
À l’extérieur des bureaux de Vice Québec, dans le quartier montréalais de Griffintown, les camions fourmillent, les grues pivotent, les machineries pilonnent les fondations de futurs édifices qui émergent du sol un peu partout. À l’intérieur des bureaux de bois et de métal du média, c’est un peu moins bruyant, mais tout aussi bouillonnant.
C’est que le travail est abondant, et les projets sont encore nombreux pour la trentaine d’employés de Vice Québec, menés par la directrice générale Delphine Poux et le rédacteur en chef Philippe Gohier.
« En 12 mois, on n’a jamais autant travaillé de notre vie, on a donné beaucoup, lance Mme Poux, une ancienne de chez Rogers, tout comme Gohier, qui a travaillé à Maclean’s et à L’actualité. Quand on parle à d’anciens collègues des médias traditionnels, il y a des fois un malaise de leur dire qu’on engage du monde, qu’on est là pour construire et pas déconstruire. On savait que la marque était forte, mais il y a eu un engouement, qui a été encore plus gros que ce qu’on espérait. »
En ce moment, Vice Québec rejoint quelque 500 000 visiteurs uniques par mois sur son site et compte plus de 80 000 abonnés sur sa page Facebook. Mieux, en plus d’une récente récompense aux prix Gémeaux pour le documentaire Le peuple de l’herbe : la cannabusiness au Québec, plusieurs de leurs productions vidéo rejoignent jusqu’à 700 000 personnes.
C’est d’ailleurs là où le bateau amiral de Vice Media concentre aujourd’hui son énergie, forçant par ailleurs des mises à pied et des refontes de ses structures, dont l’abandon de certaines plateformes, par exemple le site de musique électronique Thump. L’entreprise, qui compte en son sein des dizaines de déclinaisons locales à travers le monde, est en train de pivoter sur elle-même, illustre Delphine Poux.
« Il y a eu des licenciements, mais il n’y a aucun rapport avec le fait que Vice n’allait pas bien, dit-elle. On est en train de se concentrer sur une ligne de business qui est très claire avec la production vidéo, le numérique et la télé. »
Vice Québec produit quotidiennement la capsule « Vice du jour », en plus de plonger dans la création de documentaires d’une vingtaine de minutes — sur la cimenterie de Port-Daniel, par exemple. Aujourd’hui, estime Philippe Gohier, le contenu vidéo a le même poids sur le site que le contenu écrit, colonne vertébrale de Vice.
Mais qu’est-ce qui fait que le format vidéo est si fort ? Gohier hausse les épaules : « Il y a un appétit infini pour la vidéo sur les réseaux sociaux. »
La directrice générale, Delphine Poux, rappelle un fait majeur : le standard de qualité de Vice Québec ne se définit pas par rapport à ce qui se fait ici, « mais par rapport à la maison mère ». « Forcément, ça nous tire vers le haut de façon importante. »
La marque forte de Vice a aidé son volet québécois à se faire une place dans le marché, mais elle doit toutefois être à la hauteur de la réputation de l’entreprise. « Quand je regarde [le documentaire-choc sur la ville américaine de] Charlottesville, je sais que la barre vient de monter. Tout le monde en parle. On le rappelle à l’équipe aussi. Maintenant, il y a une autre marche à franchir. »
Projets télé
Vice Québec a comme mandat de parler aux jeunes de 18 à 34 ans, un public pas tout à fait naturel pour les grands médias d’information, souvent destinés à un public adulte. Pour ce faire, Poux et Gohier ont justement recruté plusieurs jeunes plumes. « Un bon 85 % des employés a en bas de 35 ans », estime la directrice générale.
Cet état de fait était indispensable pour le rédacteur en chef, qui ne se retrouve plus dans la tranche d’âge cible. « On est quelques “adultes”, rigole-t-il. Ça en prend, mais on n’a pas nécessairement les instincts de nos employés. Je dois me fier à eux quand ils me disent que quelque chose est cool, intéressant. »
Gohier estime que c’est un des plus grands défis de la plateforme. Rejoindre son jeune public, lui parler pour qu’il s’intéresse à ce qu’on lui dit, et aborder les enjeux qui le passionnent.
« C’est une vérité pour tous les journalistes, mais il ne faut jamais oublier qu’on est au service de nos lecteurs. Mais nos lecteurs ne sont pas les lecteurs auxquels on est habitué de parler. »
Concrètement, comment cela se reflète-t-il dans le travail de tous les jours ? « Quand mes collaborateurs me demandent comment ils doivent écrire, je leur dis de le faire comme s’ils racontaient l’histoire à leur coloc, à leur meilleur ami. Et de la raconter dans le même ordre aussi. Si tu vas dans une conférence de presse, et ce qui t’a intéressé le plus, c’est quelque chose qui s’est passé complètement à côté du sujet, dans le fond de la salle, et que c’est ce que tu racontes à tes collègues après coup, c’est ça que je veux que tu me racontes. »
Paradoxalement, le prochain pion qu’avancera Vice Québec sera probablement celui d’une présence à la télévision, lance Delphine Poux. « On est en train de développer des émissions pour d’autres diffuseurs télé. On n’est pas parti en production en français pour la télé, mais on est prêts. »