L’avenir de La Presse canadienne qui célèbre son centenaire

Soudain, quelque chose appelé La Meute se pointe le museau dans l’actualité. Alors, comment décrire journalistiquement ce groupe qui manifeste contre « l’immigration illégale » ?
Beaucoup de médias et de commentateurs parlent d’extrême droite. Le lien est fait avec les radicaux à croix gammée de Charlottesville. Est-ce seulement, pour ici aussi, la bonne appellation contrôlée ?
Les patrons et les journalistes de l’agence La Presse canadienne (PC) y ont pensé. Ils ont fini par trancher.
« Faut-il parler de “la droite” ou dire “proche de la droite” ? reprend Jean-Philippe Pineault, directeur de l’information des services français de l’agence. Qu’est-ce que l’extrême droite au fond ? J’ai questionné un spécialiste de la question. On a digéré les opinions recueillies et envoyé une note à tout le monde pour expliquer que, dorénavant, on qualifierait La Meute de “groupe proche de l’extrême droite”. L’extrême droite fait la promotion de l’usage de la violence et considère certaines races comme supérieures à d’autres. »
Le même exercice a été fait avec la désignation des « immigrants illégaux ». En droit, une telle chose n’existe pas et les dépêches de la PC n’utilisent donc pas cette expression.
« Notre force, c’est l’exactitude, la rigueur, la vérité, poursuit le patron. Cette mission est partagée par tous les employés de manière étroite. »
Ainsi va cette machine à informer depuis un siècle. La Presse canadienne a été fondée officiellement par l’adoption d’une loi du Parlement fédéral le 1er septembre 1917. La première de millions de dépêches est parvenue aux rédactions du pays le lendemain, il y a donc très exactement cent ans aujourd’hui.
Fausses nouvelles
Le monde de l’information a bien changé depuis. Une lutte épique se joue maintenant entre les médias traditionnels d’information, les fake news et la surabondance du commentaire engagé et militant partout, tout le temps.
« Dans un contexte d’abondance de fausses nouvelles et de surabondance d’informations non vérifiées, la PC est plus que jamais un rempart », écrit au Devoir Patrick White, lui-même ancien agencier (chez Reuters et à la PC), maintenant éditeur et rédacteur en chef de Huffington Post Québec. « C’est une garantie de la qualité de l’information. Les journalistes et éditeurs de la PC, et des agences de presse en général, ont pour mission de tout vérifier les faits et de corriger les infos rapidement en cas d’erreur. La PC fait aussi le tri des nouvelles les plus importantes au Québec, au Canada et aussi dans le reste du monde via l’agence Associated Press, dont elle est le redistributeur unique et officiel au Canada. »
Une agence de presse produit et vend de l’information (textes, photos, vidéos, etc.) à des clients, un peu à la manière d’un grossiste. Celle-là fonctionnait sous une forme coopérative (sans but lucratif) et collaborative jusqu’au début de la décennie.
L’entreprise, fatiguée, menacée de disparition, a alors muté en entité commerciale (à but lucratif) avec des investissements de trois grands joueurs médiatiques : Torstar (derrière le Toronto Star), une filiale du Globe and Mail et la société de contrôle de La Presse. La PC 2.0 diversifie ses offres, par exemple en procurant un service de mise en page aux autres médias.
« Nous vivons la même pression que tout le secteur, mais d’une manière un peu différente,explique le directeur Pineault. Les médias ont moins de ressources qu’avant. Nous sentons qu’ils comptent plus que jamais sur nous pour certaines couvertures nationales, les débats à Québec et à Ottawa, les missions des premiers ministres dans le monde, les procès importants, les matchs des Canadiens ou des Alouettes. »
Patrick White avait tracé le portrait des agences en mutation dans un mémoire de maîtrise publié il y a 20 ans, Le village CNN, la crise des agences de presse (PUM, 1997). Il prédisait que leur survie passerait par « la diversification économique de leur produit et de leur clientèle ». Il juge que la PC a bien négocié le virage.
« Plus que jamais, tout passe par la diversification, dit-il. Sinon, c’est la fin. La Presse canadienne offre un grand nombre de services à valeur ajoutée, en plus des textes et des photos. Il y a les vidéos, les infographies, les tableaux, les données et l’analyse de données, par exemple. L’agence vend aussi des forfaits spéciaux lors des Olympiques et des élections fédérales et québécoises. Pour un média comme le HuffPost, c’est un incontournable et on est très fiers d’être abonnés à la PC. »
Le directeur Pineault souhaite accentuer le virage numérique des dernières années pour « mieux s’adapter aux habitudes de consommation de la nouvelle », maintenant ultrarapide. Il souhaite aussi plus de ressources et d’énergie pour « le terrain ».
« Il faut encore plus de travail de base. Ça devient compliqué. La PC est passée d’environ 400 journalistes au début des années 1980 à 270 en 1996 à 185 maintenant. Le service français en emploie entre 45 et 50. Pour produire des informations de qualité, avec rigueur, ça prend des gens et du temps. Notre défi des prochaines années, c’est de trouver le moyen d’investir dans ce journalisme. »
Un siècle d’infos
La Canadian Press, créée en 1910, distribue des dépêches de l’Associated Press.Ottawa finance la création de La Presse canadienne en 1917 pour couvrir la participation du pays à la Première Guerre mondiale.
Le service français apparaît en 1951. Les émissions radiophoniques débutent en 1954.
La PC partage plus de 20 000 nouvelles par année entre ses médias membres au plus fort de la période coopérative.
Les journalistes de l’agence ont reçu des dizaines de récompenses, dont plus de 45 prix du Concours canadien de journalisme.