La surveillance des sources, un grave problème démocratique

Cette commission a été mise sur pied par le gouvernement du Québec après que des cas de surveillance de journalistes par la police ont été relevés.
« La chasse aux sources, c’est du quatre saisons au Québec, et c’est un grave problème démocratique », a lancé le directeur du Devoir, Brian Myles, aux côtés des patrons de Radio-Canada et de La Presse, lors du premier jour des audiences de la commission Chamberland, qui enquête sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques.
Les trois médias ont souligné le fait que, dans le système actuel, la presse est tenue dans l’ombre quand un policier fait une demande auprès d’un juge de paix pour avoir accès à des informations sur les sources d’un reporter. « On n’est même pas représentés », a déploré Éric Trottier, éditeur adjoint du quotidien La Presse.
Rappelons que la Commission d’enquête sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques a été mise sur pied par le gouvernement du Québec en novembre dernier après que des cas de surveillance de journalistes par la police ont été révélés.
Pour Brian Myles, la surveillance « a plus été faite pour débusquer les taupes que pour faire déboucher les enquêtes ». Selon lui, les membres des médias ont servi de cheval de Troie pour identifier « des gens qui parlaient un peu trop ».
En amont du passage des patrons de presse, l’ancien secrétaire général de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Claude Robillard, avait expliqué que, la plupart du temps, les travailleurs ou les fonctionnaires coulant des informations aux médias le font car ils sont indignés « face à quelque chose qui révolte leur sens moral », ou pour éviter qu’une situation problématique ne se reproduise.
Après que la surveillance policière de journalistes, comme Patrick Lagacé de La Presse ou Marie-Maude Denis à Radio-Canada, a été rendue publique, de nombreuses sources confidentielles se sont tues, a expliqué Michel Cormier, directeur général de l’information à la société d’État. « C’est excessivement dommageable, des gens vivent dans la hantise que leur nom soit dévoilé. On se sent moralement liés à eux, et pour des raisons externes, on sent qu’on ne peut pas respecter ça. Ce sont des sources qui se sont taries. »
MM. Trottier, Myles et Cormier ont souligné les risques majeurs que prenaient les sources, souvent dans le but de faire avancer la démocratie. « Neuf fois sur dix, les gens veulent dénoncer une situation inadmissible dans leur milieu de travail », a expliqué Éric Trottier.
« Une échappatoire »
« Parler aux bonnes personnes devient difficile », a expliqué Claude Robillard. Selon celui qui a passé plus de 25 ans à la FPJQ, le contrôle de plus en plus étanche de l’information par les départements de communication explique le recours aux sources confidentielles par les journalistes. La méthode devient « une échappatoire », a-t-il expliqué.
Selon M. Robillard, il existe aussi une centralisation des communications dans les institutions publiques, qui parlent de plus en plus d’« une même voix ». Ce qui s’ajoute à une « interdiction réglementaire pour les fonctionnaires de parler à qui que ce soit. Le processus de blocage est écrit dans les politiques. C’est un cheminement presque kafkaïen, des fois ».
Ce ne sont pas tous les reportages qui demandent la protection des sources, a précisé M. Robillard. « Ce n’est pas le pain et le beurre de tous les journalistes. » Mais quand cette technique est utilisée, elle joue un grand rôle dans le travail des reporters, selon un sondage non scientifique qu’il a mené auprès des membres de la FPJQ.
Conférenciers
En matinée, deux conférenciers — qui n’avaient pas le statut de participants officiels — ont lancé les discussions, soit Lise Bissonnette et Jean-Claude Hébert. Ce dernier a mis en lumière les rapports possibles entre le judiciaire, le politique et la police.
Selon lui, « la loi protège la source d’information du policier, mais ne protège pas de façon aussi explicite la source d’information du journaliste ».
L’avocat a souligné que, depuis 2015, le gouvernement, dans sa loi antiterroriste, a permis un échange d’informations entre plusieurs des agences de renseignement du pays, dont la GRC, le Service canadien du renseignement de sécurité et le Centre de la sécurité des télécommunications du Canada. Avec ce dernier organisme, par exemple, l’autorisation d’un juge n’est pas nécessaire pour obtenir de l’information. « Si la police obtient une information de l’organisme-espion, on vient de neutraliser le contrôle de l’autorisation judiciaire. Ça existe. Je vous dis pas qu’on utilise ça régulièrement pour écouter les journalistes relativement a une source d’information, mais juridiquement il y a une possibilité que la chose se fasse. »
Me Hébert a aussi mis en lumière l’article 25.1 du Code criminel qui permet aux policiers de prendre un raccourci dans une enquête sur une fuite interne, par exemple. « Omettre d’aller voir un juge pour demander une autorisation judiciaire, si on passe via le canal de l’article 25,1, ça peut être légal », résume-t-il, soulignant qu’il faut pour ce faire l’autorisation d’un supérieur, que la demande implique une activité criminelle et que le policier estime son action juste et proportionnelle. « Le font-ils ? Je l’ignore. »
Lise Bissonnette, ancienne directrice du Devoir et ex-présidente de BAnQ, a quant à elle fait un retour historique sur les liens entre la presse, le peuple et le pouvoir. « L’amorce de votre travail fut la légèreté avec laquelle semblent avoir été prises, dans un environnement policier et judiciaire, les décisions d’épier des journalistes, a-t-elle dit. Cette légèreté s’inscrit dans une histoire, elle tend à la prolonger. »
En ouverture
La Commission d’enquête sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques a pris son envol lundi matin avec une allocution de son président, Jacques Chamberland, qui a précisé que son mandat n’est pas de trouver un coupable ou de faire des blâmes, ni de déterminer la légalité des actions menées pour procéder à l’écoute de sources des médias. La commission, a-t-il exprimé, veut mettre en lumière ce qui a permis les faits controversés.
La commission s’attardera aux journalistes et à leur lien avec la démocratie, ainsi qu’à la relation qu’entretiennent les policiers avec la démocratie. Cette commission devra rendre au gouvernement son rapport final et ses recommandations au plus tard le 1er mars 2018.
Le SPVM promet de collaborer
Le directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Philippe Pichet, ignore s’il devra témoigner à la Commission d’enquête sur la protection des sources journalistiques. « On est en lien avec les procureurs de la commission », a indiqué Philippe Pichet au Devoir. « On verra ce que je peux amener comme témoignage, mais je suis disponible s’il faut que j’y aille. On va collaborer pleinement. »Philippe Pichet voit d’un bon oeil l’enquête qui s’amorce. « C’est une bonne chose. J’ai hâte de voir le résultat des travaux. Ça va peut-être donner un autre angle de vue de ce qui s’est passé l’an dernier durant notre enquête », a-t-il expliqué. Rappelons qu’une enquête du SPVM sur le policier Fayçal Djelidi avait mené à la surveillance des communications du journaliste Patrick Lagacé.
« [La commission] va regarder tout ce qui entoure les façons de faire, les règles et les procédures. On a agi dans les règles, mais si on est rendu à un point où il faut changer les règles dans différents statuts, qu’on le fasse et on va s’adapter à ça. »
Le SPVM a un statut de participant à cette commission. Jeanne Corriveau