

«Le Devoir», un journal qui déménage
Pourquoi transférer nos pénates ? Parce que les locaux que nous occupions angle De Bleury et Président-Kennedy étaient...
Le Devoir emménage dans de tout nouveaux bureaux. Pour l’occasion, nous proposons un survol des tendances de fond qui secouent le monde du travail et des impératifs qui poussent les entreprises à repenser leur environnement et leurs façons de faire. Visite libre.
Lové dans un hamac entouré de plantes suspendues, un employé visionne une vidéo sur son cellulaire. Pendant que des collègues discutent autour d’un café dans un camion-restaurant muté en minicafétéria, les matelas et coussins douillets d’un poste de luminothérapie installé pour lutter contre la déprime hivernale attendent leur prochain visiteur.
Les chaises adirondack adossées à d’immenses baies vitrées donnent au tout des airs de randonnée en plein Mile-End. Nous sommes pourtant en plein coeur de l’après-midi chez Ubisoft, une ruche bourdonnante où s’activent plus de 3000 employés vissés à leur écran d’ordinateur.
En pleine cure de rajeunissement, ce haut lieu de l’industrie mondiale du jeu vidéo emboîte le pas d’une tendance en plein essor. À l’heure où la dématérialisation permet aux employés de travailler de la maison ou de n’importe quel café Internet le nez collé sur un cellulaire ou un ordinateur portable, plusieurs lieux de travail sont appelés à se réinventer.
La nécessité de se redéfinir au jour le jour, la compétitivité et la connectivité sont en voie de sonner le glas des bureaux fixes et fermés, aussi peu attrayants qu’inadaptés aux secousses économiques et sociales qui ébranlent le monde du travail. Née à l’ère du multitâche, la génération Y, allergique au « 9 à 5 » et aux codes traditionnels de l’univers professionnel, accélère cette métamorphose qui ébranle les nouveaux lieux de travail. Bienvenue dans l’ère du living office.
« Le living office, ce n’est pas qu’un lieu conçu pour le travail, c’est un lieu repensé et multifonctionnel qui invite à la collaboration et emprunte de plus en plus au vocabulaire de la maison », explique Nicolas Paugam, directeur du Groupe Artdesk. Fondée à Paris en 2003, la firme a réinventé les bureaux de dizaines d’entreprises, dont Blablacar, Facebook, LinkedIn et Alstom.
« Cette tendance s’étend maintenant même au monde de la finance et des avocats », assure-t-il.
Loin d’être uniquement cosmétique, cette petite révolution participe aux efforts que décuplent les entreprises pour attirer et retenir les meilleurs talents et offrir des milieux de travail susceptibles de stimuler l’échange des idées et le mélange des troupes.
Bureaux fermés et séparateurs sont totalement contre-productifs pour la vitalité d’une entreprise, affirme Nicolas Paugam, qui ne jure que par les aires ouvertes où les employés se côtoient en grappes. L’espace ainsi libéré permet de créer des lieux informels, des lieux de rencontres spontanées et d’autres apartés libérateurs où germent les idées folles et la créativité.
Dans un environnement qui multiplie les niches zen, les cocons méditatifs et les lieux de réunion, comme la Barbichette, inspirée d’un café du Mile-End, le tiers de la superficie des quelque 500 000 pieds carrés de bureaux chez Ubisoft sera bientôt constituée de « zones communes », le reste, aux postes de travail.
« Les gens ont souvent leurs meilleures idées chez eux en prenant un café, quand ils discutent avec d’autres ou même quand ils joggent. C’est logique de vouloir recréer ce confort et cette authenticité au bureau », insiste le fondateur d’Artdesk.
Parsemée d’objets insolites, de fauteuils moelleux et de petits comptoirs où aller faire la pause les pieds posés sur un pouf, la firme parisienne pousse même la logique jusqu’à offrir à ses clients du mobilier inhabituel et des trouvailles dénichées aux quatre coins du globe.
Le même esprit plane chez Moment Factory, dont les nouveaux bureaux, installés dans une usine centenaire du Mile-End, s’ouvrent sur une vaste salle à manger et un comptoir bistro autour desquels gravitent matin et soir les 200 employés. Selon les besoins, l’endroit peut aussi servir à la tenue de fêtes, d’expositions ou d’autres activités culturelles pour le quartier.
« On ne voulait pas de tape-à-l’oeil, mais plutôt un endroit sobre qui nous ressemble et que nos employés allaient façonner à leur image », explique Sakchin Bessette, cofondateur de Moment Factory. Bourrés de livres et de plantes exubérantes, des « coins » bibliothèques parsèment les aires ouvertes déployées sur 40 000 pieds carrés par étage. Un chihuahua trottine nonchalamment entre les bureaux, suivi d’un employé en planche à roulettes.
« Hunterwasser [peintre allemand] disait que nous avons trois peaux, celle du corps, celle de nos vêtements et celle de l’architecture. Ici, les employés doivent se sentir bien dans les trois », insiste le tout jeune patron, dont le nombre d’employés a doublé depuis un an.
Penser un lieu de travail, ça ne se résume pas à créer un endroit agréable. Ça doit s’ancrer dans un lieu qui reflète les valeurs et l’image de la compagnie.
Pour plusieurs architectes, repenser les lieux de travail d’une entreprise va bien plus loin qu’accoucher d’une architecture organique. « Penser un lieu de travail, ça ne se limite pas à créer un bel endroit. Ça doit s’ancrer dans un lieu qui reflète les valeurs et l’image de la compagnie », souligne Martin Leblanc, associé principal chez Sid Lee architecture, qui choisit désormais les futurs lieux de travail de la moitié de ses clients.
Parmi ceux-ci, le siège social de Red Bull que l’entreprise a déménagé dans les anciens entrepôts d’un chantier naval à Amsterdam. Un lieu complètement éclaté, beaucoup moins coûteux que des tours de bureaux « avec vue », devenu depuis un incontournable des endroits à ne pas manquer lors d’une visite dans la capitale néerlandaise, affirme M. Leblanc.
Idem pour l’entreprise de haute technologie Lightspeed, pour qui la firme acdf* Architecture de Montréal a déniché l’ancienne gare-hôtel Viger, laissée à l’abandon depuis des dizaines d’années.
« Avec ses combles exposés et ses vieux murs de brique laissés tels quels, cela reflète l’ADN unique de cette entreprise. Mieux vaut investir dans l’architecture durable, l’authenticité ou des oeuvres d’art qui vont grandir avec l’entreprise plutôt que dans du gypse qu’il faudra un jour démolir », avance Maxime-Alexis Frappier, architecte senior associé de cette firme. Celle-ci a consacré une partie du budget de rénovations de Lightspeed à la réalisation de murales, pour dynamiser les salles de réunion.
Avec les soubresauts de l’économie, les bureaux doivent en sus se faire de plus en plus caméléons. Au gré des croissances et des rationalisations, cet esprit « couteau suisse » trouve tout son sens chez Sid Lee, où un ancien entrepôt situé à deux sauts de puce du siège social sert tour à tour de lieu pour présenter des événements, de salle de réunion, de terrain de basketball et, le midi… de ring de boxe pour les employés.
« L’idée, ce n’est pas que le milieu de travail devienne une garderie avec des gadgets, comme ce fut la mode dans les années 2000, tempère Martin Leblanc. Les entreprises recherchent l’authenticité parce que cela a un réel effet sur la présence au travail, la durée d’emploi et le roulement du personnel. »
Pourquoi transférer nos pénates ? Parce que les locaux que nous occupions angle De Bleury et Président-Kennedy étaient...
Le Devoir quitte la famille Gold avec un pincement au coeur.
La compétitivité et le travail collaboratif forcent les entreprises à revoir les lieux de travail.
Le réaménagement de l’espace bouscule les codes de travail et la hiérarchie traditionnelle.