Le Québec, cancre de l’aide à la presse

Une piste de solution avancée propose d’intégrer les médias d’information dans un plan culturel numérique.
Photo: Michaël Monnier Le Devoir Une piste de solution avancée propose d’intégrer les médias d’information dans un plan culturel numérique.

La presse écrite québécoise est beaucoup moins soutenue par des mesures étatiques que celle d’autres pays dont la France, le Royaume-Uni ou la Finlande selon une étude comparative divulguée ce mardi midi à Québec.

L’enquête dont Le Devoir a obtenu une synthèse montre que les journaux québécois reçoivent annuellement l’équivalent d’environ 3 $ par habitant. Ce montant double aux États-Unis (5,83 $), est multiplié par six au Royaume-Uni (18,17 $) et par dix en France (29,26 $). La Norvège accorde 57 $ par année à ses journaux. La Finlande, championne apparente de la perfusion étatique, verse 92 $.

La faiblesse des subventions nationales se confirme aussi ici dans le domaine de la radiodiffusion. Le Canada est un des pays occidentaux qui soutient le moins son diffuseur public, réputé producteur d’information de qualité, avec une trentaine de dollars versés annuellement per capita. Seule la Nouvelle-Zélande (25 $) fait moins et les États-Unis bien sûr, dont les médias ne fonctionnent qu’avec l’argent privé. Par contre, la Norvège verse 163 $ par habitant, l’Allemagne 107 $ et l’Irlande 54 $. La BBC reçoit l’équivalent de 118 $.

Plusieurs mesures alternatives sont examinées par l’étude de la firme MCE Conseils intitulée « Le financement de l’information », dont les crédits d’impôt sur la masse salariale et la réduction de la contribution des entreprises de presse au recyclage du papier. L’introduction d’une redevance sur les services Internet pourrait rapporter à elle seule des centaines de millions par année pour soutenir la production de contenus nationaux sur toutes les plateformes.

L’enquête comparative a été préparée à la demande de la Fédération nationale des communications (FNC). Le regroupement sectoriel de la CSN se réunit en congrès en cette Journée mondiale de la liberté de la presse sur le thème « L’information : le 4e pouvoir sous pression ». La FNC représente 88 syndicats et 6000 membres, dont les journalistes du Devoir.

Le congrès porte sur la manière d’assurer la viabilité d’une information de qualité alors que les médias traditionnels perdent leurs moyens au profit des intermédiaires comme Facebook ou Google qui ne produisent aucun contenu tout en accaparant une part toujours grandissante des revenus publicitaires. « Quelles sont les incidences du tout numérique sur les habitudes de consommation des usagers et sur l’écosystème des médias canadiens ? », demande le document de présentation. « Quelles sont les nouvelles initiatives ? Quelles sont les hypothèses de financement ? »

Les patrons de presse (dont Brian Myles du Devoir) et des journalistes échangeront cet après-midi. Les experts livrent leurs observations ce matin.

 

Des solutions

Le panorama international de MCE Conseils identifie des pistes de solutions pour ajuster la situation québécoise. Elles pointent vers une redevance télévisuelle, comme en Europe, une taxe Internet, une taxe à l’achat d’équipements électroniques ou une ponction prélevée aux entreprises qui utilisent les infrastructures numériques pour rejoindre le public national.

Les télécommunications sont de juridictions fédérales. Les calculs établissent qu’en forçant les services Internet à verser une redevance de 5 % semblable à celle déjà fournie par les télédiffuseurs, l’État canadien pourrait accumuler 390 millions par année qu’il pourrait ensuite redistribuer aux fournisseurs de contenus. Une taxe de 1 % des équipements informatiques rapporterait 20 millions annuellement.

La politique-fiction s’attarde surtout à l’aide aux journaux, depuis plus de deux siècles à la base de la pyramide de production d’informations jugées utiles, voire nécessaires en démocratie. Il est envisagé de les soutenir par différents moyens déjà en place ailleurs dans le monde. Le document parle par exemple de l’aide à l’impression, de la réduction des frais postaux ou de la contribution à l’écofiscalité, les journaux payant pour le recyclage de leurs versions imprimées.

Un crédit d’impôt sur la masse salariale pourrait atteindre 25 % des dépenses et même 35 % pour les médias ne couvrant pas la région métropolitaine. Cette option encouragerait la « démontréalisation » de la couverture journalistique.

Une autre piste de solution propose d’intégrer les médias d’information dans un plan culturel numérique. Dans ce cas, le soutien pourrait être réservé aux entreprises d’information adhérant à un code de déontologie journalistique.

Les experts développent des projections rationnelles à partir de certaines de ces idées. La combinaison du crédit d’impôt sur la masse salariale et du plan culturel numérique rapporterait environ 5 millions par année à Groupe Capital Médias (Le Soleil, Le Droit, etc.) ; 3,6 millions à La Presse ; 1,6 million au Journal de Montréal et 1,2 million au Devoir.

Il y a loin de la coupe aux lèvres cependant. La présentation synthétique obtenue par Le Devoir mentionne bien que de telles propositions s’inscrivent à contre-courant de la tendance idéologique dominante. « Le coefficient de difficulté politique est élevé », dit le texte. Beaucoup de travail de persuasion, d’analyse et d’évaluation [reste à faire]. Mais tôt ou tard, les sociétés étrangères telles Netflix, Google et Facebook, devront accepter de s’impliquer et d’aller plus loin que la simple utilisation de nos infrastructures. »

La révolution numérique fait que les distributeurs deviennent plus rentables que les créateurs de contenus, y compris l’information jugée pertinente socialement. La demande devient aussi de plus en plus pointue et difficile à satisfaire alors que l’accès s’amplifie, se massifie et se simplifie avec les nouveaux moyens mobiles et dématérialisés.


Des détails

L’étude détaille les soutiens aux médias d’information (et à la presse en particulier) offerts dans différents pays européens. En voici quelques-uns :

Finlande. Environ 20 % des revenus des journaux proviennent de subventions, soit autant que le tirage. La publicité fait le reste. L’étude parle d’un financement direct évalué à 92 $ par habitant.

France. L’aide à la presse dépasse le milliard de dollars annuellement. Elle comprend 550 millions de subventions directes et plus de 150 millions de soutiens à l’Agence France-Presse. Environ 25 000 journalistes accrédités reçoivent une centaine de millions d’abattements fiscaux.

Suède. L’objectif de la politique en faveur de la presse est d’assurer le pluralisme politique et la représentation publique de « tous les courants d’opinion ». L’aide étatique versée à quelque 170 quotidiens avoisinait 100 millions en 2010.

Pays-Bas. Un fonds spécial de 11 millions créé au début de la décennie à stimuler « l’innovation journalistique », soit le virage numérique. Plus de 5 millions supplémentaires ont servi à supporter les jeunes reporters.


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