Québecor dénonce une enquête du Centre d’études sur les médias
Québecor se permet une rare et cinglante réplique à une étude universitaire intitulée Les Québécois et l’information à l’ère du numérique diffusée début avril. La critique porte sur la méthodologie jugée « déficiente », « invalide » et « discutable ». Cet outil déformant finirait par livrer « un portrait inexact, voire trompeur des habitudes de consommation des Québécois en matière d’information », selon le communiqué publié jeudi par Québecor Groupe Média.
Il s’agit d’une démarche exceptionnelle. L’entreprise médiatique justifie sa sortie cinglante en évoquant le retentissement accordé à cette étude par les concurrents.
« Pour nous, il s’agit d’expliquer au marché la non-validité des résultats de l’étude », dit au Devoir Véronique Mercier, vice-présidente aux communications, Groupe Média de Québecor et Groupe TVA inc. « Elle a des impacts sur les choix des annonceurs qui pourraient se baser sur de faux résultats alors que nos marques (et certaines autres comme Le Devoir) n’étaient pas présentées dans le sondage. »
Action
Ce positionnement a son importance capitale en publicité alors que se poursuit une féroce lutte intermédiatique pour l’attirer ou la maintenir. « Québecor Groupe Média met les acteurs de l’industrie des médias et les annonceurs en garde devant les résultats de l’étude », dit le titre de la déclaration publique de l’entreprise.
« En se basant à la fois sur le nombre d’utilisateurs et sur le temps consacré à la consultation, l’étude conclut que La Presse + monopolise 43 % (4) des parts du marché de l’information sur applications mobiles au Québec, loin devant son plus proche concurrent, qui récolte 16 % des parts de marché, a écrit Guy Crevier, éditeur de La Presse le 16 avril, dans son média. Se retrouver en tête de ce palmarès est une fierté pour toute notre équipe qui s’investit quotidiennement pour faire de La Presse + la référence en information au Québec. »
Le travail universitaire au centre du litige a été réalisé par Sébastien Charlton, Michel Lemieux et Daniel Giroux pour le Centre d’études sur les médias (CEM), rattaché à l’université Laval. Le Centre fournit des données semblables tous les deux ans depuis 2007 en se basant sur les réponses à un questionnaire maison.
La réplique
La réplique de Québecor (maintenue en entrevue avec des spécialistes du numérique) décortique les problèmes un à un :
Incomplétude. Québecor affirme que la question sur la fréquentation des sites d’information risque de biaiser les résultats puisqu’elle ne mentionne pas plusieurs sites d’information importants, notamment tvanouvelles.ca, tvasports.ca, ledevoir.ca et journalmetro.ca.
Incertitude. « Au moins trois questions (17, 19 et 21) évoquent des réalités qui n’existent pas, soit les sites Web Canoë-LCN et Argent-TVA, dit le communiqué. Les auteurs font l’erreur de combiner les sites Canoë (un portail), LCN (qui n’a pas de site), TVA (un site de station de télévision) et Argent (une section du site de TVAnouvelles.ca). »
Magnitude. Le reproche porte sur l’exclusion de sources capitales d’information. Les réseaux sociaux ne sont pas pris en compte alors que plus de la moitié des branchements vers les sites peuvent maintenant passer par cette entremise. Les universitaires font même référence aux « vieux » blogues dans une question sans alors citer Facebook ou Twitter comme sources d’information.
Multitude. « S’agissant des répondants, il est inexact de parler d’échantillons aléatoires alors que plusieurs personnes ont participé à la recherche plus d’une fois. » La contre-attaque juge aussi la généralisation à l’ensemble du Québec impossible puisque seuls les Québécois francophones ont été sondés.
D’où le jugement globalement négatif. « Il existe aujourd’hui des outils d’audiométrie utilisés et reconnus par tous les acteurs du marché — Comscore, Numeris et autres — qui permettent d’avoir un portrait quantifié, objectif et en temps réel de la consommation des médias numériques par la population, dit Julie Tremblay, présidente et chef de la direction de Québecor Groupe Média dans le communiqué. Pour nous, cette étude est invalide puisqu’elle manque d’assises méthodologiques rigoureuses. »
Les universitaires se défendent
Les universitaires interpellés réagissent. « Notre enquête est la seule qui porte sur l’ensemble des médias que les Québécois qui parlent français utilisent pour s’informer, dit au Devoir Daniel Giroux, secrétaire général du CEM, coauteur de l’enquête. En appliquant la même méthode depuis 2007, nous croyons mesurer assez précisément l’évolution des pratiques, ce qui est notre objectif premier. »
Il défend sa méthodologie et ses échantillons, jusque dans le détail. Il avoue par exemple que les choix de réponses aux questions 17,19 et 21 portant sur les sites Internet et les applications pour mobiles « ne sont pas exhaustifs », mais que « les répondants pouvaient (et plusieurs l’ont fait) ajouter les médias qu’ils fréquentaient ». Partant, il ne croit pas que cette démarche ait désavantagé qui que ce soit.
« Nous n’avons pas la prétention de remplacer les outils de mesure qui existent dans les différents secteurs de l’industrie pour mesurer l’audience d’une émission de télévision ou de radio, le lectorat d’un journal ou la fréquentation d’un site Web ou d’une application pour mobiles, ajoute M. Giroux. Ces études menées notamment par Vividata, Numeris et ComScore considèrent chacun de ces modes d’information et de divertissement isolément. Les résultats des unes et des autres ne peuvent être combinés pour tracer un portrait d’ensemble. Nos enquêtes permettent d’avoir une vue pour l’ensemble des modes d’accès à l’information ».