

La belle mécanique professionnelle de la journaliste multidouée Marie-Christine Blais a lâché après des mois de signes...
La belle mécanique professionnelle de la journaliste multidouée Marie-Christine Blais a lâché après des mois de signes inquiétants. Dans le vocabulaire garagiste, disons que son moteur fortement grippé menaçait de sauter à tout moment.
« J’étais brûlée et j’avais l’impression de marcher dans une vallée de cendre pendant deux ou trois mois. Que de la cendre, partout. Un jardin de cendre. Même boire de l’eau ne me tentait plus », raconte l’ancienne journaliste en parlant des effets du supplice qui s’est abattu sur elle en 2012, après une très enviable carrière.
Marie-Christine Blais a été critique culturelle de l’émission du retour à la maison de la Première Chaîne de Radio-Canada dans les années 1990, sous la gouverne du grand maître des ondes Michel Desautels. Elle était ensuite passée à La Presse, au tournant du siècle, puis à la section vidéo de La Presse +.
« Pour être brève, pour toutes sortes de raisons, nous avons été une dizaine dans la section à faire un burn-out. On avait un patron toxique. Quand je suis revenue, après cinq mois de congé, la passion ne revenait pas. Il y avait certainement un lien avec le fait que je sois plus âgée. J’ai pratiqué ce métier pendant plus de 25 ans. Le milieu artistique, mettons que je l’ai couvert. J’ai fait dix entrevues avec Bruno Pelletier dans ma vie. Il est très gentil, mais dix entrevues… »
Sa voix caractéristique a retrouvé ses tonalités enjouées. Elle rigole comme avant sa chute, d’un rire communicatif qui sème le bonheur. Surtout, Marie-Christine Blais garde cet esprit de finesse qui a toujours caractérisé sa pratique du journalisme. Ce talent analytique lui permet maintenant de plonger au fond d’elle-même comme elle le faisait autrefois en s’immisçant au plus près des créations pour en comprendre la signification.
Elle peut donc contextualiser son cas personnel pour faire des liens avec les grandes mutations du métier plus de deux fois centenaire. Aux États-Unis, le nombre de journalistes travaillant pour les journaux est passé de 41 500 en 2009 à 32 900 en 2014, selon l’American Society of News Editors. Idem ici. « Après avoir augmenté jusqu’en 2000, le nombre de journalistes a diminué de façon notable par la suite », résume une analyse du marché du travail de Statistique Canada publiée en juin dernier.
Beaucoup sont congédiés ou mis en préretraite. En France, une étude du Syndicat national des journalistes vient de révéler qu’un membre sur trois songe à quitter la profession. Le sentiment d’aliénation gonfle avec l’âge. La quinquagénaire Marie-Christine, comme Jeff Heinrich, un ancien de la Gazette, a aussi quitté le journalisme parce que le journalisme qu’elle aimait la quittait. « Il y avait aussi un lien avec la façon de faire le métier maintenant. Tout change, tout bascule, le monde du travail comme les loisirs et le journalisme se transforme lui aussi. Je le comprends. Mais moi, je ne trouvais plus de plaisir à faire ce que je faisais. »
Mais encore ? N’est-ce pas toujours la même idée de rendre intéressant ce qui est pertinent, selon la vieille définition du métier de rapporteur ? En plus, contrairement à bien des journalistes de sa génération, Marie-Christine Blais maîtrise parfaitement les nouvelles techniques de communication. Ce n’est donc pas Twitter qui lui faisait peur…
« Faire dix capsules de 50 mots, ce n’est pas faire un texte de 500 mots, dit l’ancienne de La Presse +. Avec des capsules, tu ne peux pas aller en profondeur. Sur la tablette, tu veux que ça bouge et vite. Il faut toujours miser sur l’anecdote, du drôle et le “ facteur wow ”. Quand tu rencontres un écrivain, tu lui demandes quel est son restaurant préféré. On a toujours été extrêmement correct avec moi à La Presse. J’ai pu en faire, de grandes entrevues. Mais entre le columnist qui donne son opinion sur tout et les photos avec bas de vignette, je devenais une race en voie d’extinction. Ce que j’aime faire comme journalisme ne pouvait plus se faire. »
Est donc venu le moment où elle devait choisir. Elle se rappelle avoir regardé des collègues plus vieux qui erraient l’âme en peine dans la belle salle de rédaction du Vieux-Montréal. « Je ne voulais pas être comme ceux-là, nimbés d’un nuage gris de tristesse infinie, qui attendaient la retraite et la mort. Je ne voulais pas retomber en burn-out. Ce n’est pas vrai qu’on revient de là comme on était. J’étais en train de mourir, en tout cas mentalement, et j’ai donc fait un long travail d’introspection pour finalement décider de tout laisser pour passer à autre chose. »
Autre chose, c’est-à-dire la mécanique, comme son père ingénieur et mécanicien. « Son atelier était à côté de ma chambre. J’ai toujours aimé ça. Et quand j’ai annoncé à mon chum que je deviendrais mécanicienne, il m’a dit que c’était la meilleure décision que je prenais depuis des années. »
Marie-Christine Blais a donc demandé un congé sans solde de La Presse. Elle suit depuis septembre la formation en mécanique des véhicules légers (pour les motos, les scooters, les motoneiges, les VTT, etc.) de l’École des métiers de l’équipement motorisé, rue Saint-Denis à Montréal. Le jour de l’entrevue, elle suivait une formation sur l’alternateur (monophasé ou triphasé). Le « module soudure » lui a fait faire « de véritables cauchemars ».
Elle a 57 ans maintenant et se retrouve avec beaucoup de jeunes « qui ont tous déjà démonté dix motos ». Il y a aussi quelques égarés de la vie et des filières, comme elle, dont un ingénieur et deux immigrants qui ont passé le bac français.
« Je suis avec des jeunes qui ont 22 ans. Je constate qu’en général, ils ne s’intéressent pas beaucoup à ce qui se passe. Ce sont des gens très intelligents. La mécanique demande de réfléchir. Quand le scandale de Volkswagen a été dénoncé, on commençait la formation. Dans ma gang d’une quinzaine d’étudiants en mécanique, il n’y avait que le prof, un autre étudiant plus âgé et moi au courant de l’affaire. Le journalisme change. Il doit changer. Mais je crois aussi que le système de l’information se renverse et que quelque chose est cassé. »
Sa formation se terminera en janvier 2017. La future mécanicienne espère se trouver un travail avec un salaire de départ oscillant autour de 12 $ l’heure. Elle a démissionné de La Presse en janvier, quand elle a compris qu’elle n’y retournerait plus.
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