

La belle mécanique professionnelle de la journaliste multidouée Marie-Christine Blais a lâché après des mois de signes...
Sorti du journalisme, Jean-Hugues Roy aide maintenant des plus jeunes à y entrer. Mardi de cette semaine, le professeur donnait son cours pratique de télévision dans une aire publique d’un des pavillons brutalistes de l’UQAM. Lui, l’ancien de Radio-Canada, jouait au chef d’antenne d’ICI RDI tout en maniant une petite caméra sur trépied. Eux, ses étudiants de deuxième année au baccalauréat en journalisme de l’École des médias, lui répondaient en faisant semblant d’être sur le terrain quelque part au Québec. Du faux pour de vrai.
Isabelle Neveu incarnait la correspondante municipale du réseau en parlant du plan antismog réclamé récemment par Projet Montréal. Trois questions pour deux minutes d’antenne. Un résultat que les collègues de classe ont jugé tout à fait appréciable un peu plus tard, au visionnement de groupe.
La radio va rester, la télé va rester, les vieux médias vont rester et se transformer. Il y en a d’autres à créer, qu’on ne connaît pas encore. J’essaie donc de fournir aux étudiants des outils pour qu’ils se créent leurs propres médias.
Il faut dire que la jeune femme de 21 ans a déjà une décennie de pratique journalistique au compteur. Elle a eu la piqûre à 11 ans, en écrivant pour le Club Ado-Média, un camp de jour d’initiation aux métiers de la communication du Journal des citoyens des Laurentides. « Mon père m’avait donné le choix entre aller dans un camp de jour traditionnel ou m’inscrire au club, a-t-elle expliqué après sa prestation. Je n’ai jamais regretté mon choix. »
Elle a étudié en communications au cégep, et sa voie semblait toute tracée pour l’université. Elle travaille déjà un peu comme pigiste pour le journal Accès Laurentides, qui vient de se doter d’une version tablette.
Le modèle d’affaires que cherchent tous les journaux ne passera pas nécessairement par cette nouvelle plateforme. Le lendemain de l’entrevue, l’éditeur et directeur du Toronto Star, quotidien le plus lu au pays, démissionnait dans la foulée des piètres performances de son édition tablette empruntée à la technologie de La Presse +. L’application StarTouch ne rejoint que 26 000 lecteurs par jour.
Le secteur se transforme fondamentalement. Presque tous les grands médias ont comprimé leur salle de rédaction. À lui seul, Le Journal de Montréal a réduit le nombre de ses journalistes syndiqués des deux tiers après le conflit de travail du tournant de la décennie.
« Je suis bien consciente de la situation difficile des médias », poursuit Isabelle Neveu, alors que d’autres cobayes se succèdent devant la caméra pédagogique. Idéalement, elle souhaiterait bosser à temps plein pour un magazine.
« J’ai remis en question mon choix d’orientation à plusieurs reprises. Je me pose un tas de questions. Est-ce que je vais me trouver un emploi ? Est-ce que je vais me faire exploiter ? Mais je fais ce que j’aime et je pense que les médias sont essentiels dans une société. Je vais donc tenter de m’y faire une place. »
Un mélange d’inquiétude et de détermination à faire face ressort de toutes les entrevues menées auprès de la belle jeunesse en formation. « Le contexte est insécurisant », résume Maude Parent, 20 ans, arrivée au programme parce qu’elle « écrivait bien », selon un de ses profs du cégep. « Je sais qu’il n’y aura pas de stabilité. » En plus, les exercices, comme l’atelier de presse quotidienne, lui ont appris que le travail de reporter peut s’avérer très stressant.
La cohorte d’une soixantaine d’étudiants entrée à l’École des médias en septembre 2014 arrive aux deux tiers de sa course vers le diplôme. Les futurs pros disent beaucoup de bien du cours du professeur Roy, très au fait des nouveaux outils de production et de diffusion de l’info.
Mais pour le reste ? « L’essentiel de la formation se fait sur le tas, à l’extérieur des classes, dans les médias étudiants, dit Philippe Lemelin, 22 ans. En plus, le programme ne fait pas assez de place aux nouvelles technologies, comme aux nouvelles plateformes. Je n’ai eu que quelques heures de cours sur le journalisme pour le Web et je n’ai eu aucun renseignement sur la pige, combien elle paye ou comment vendre une histoire, par exemple. Nous sommes formés à l’ancienne, comme si nous allions devenir les salariés d’un journal papier, alors que nous allons devenir des pigistes multimédias. »
Son confrère de classe Samuel Lamoureux n’en pense pas moins. Il pratique le journalisme comme directeur de la section culturelle du média étudiant Montréal Campus de l’UQAM. Il dit y trouver souvent plus d’occasions d’apprentissage que dans l’enseignement ramené à de la pédagogie Twitter.
« Il faut des cours théoriques aussi, évidemment, mais ceux qu’on nous offre ne sont pas à la hauteur souhaitée. On surfe sur les concepts et on ne plonge jamais au fond des choses. Chaque théorie de la communication n’a droit qu’à 15 minutes de présentation. »
Philippe Lemelin (22 ans) et Samuel Lamoureux (21 ans) portent la barbe comme la plupart des jeunes hommes du cours. Les deux ont fait un détour par les arts avant d’arriver à l’UQAM, le premier après une formation collégiale en guitare jazz, le second en tâtant du théâtre.
Comme les quelque 150 étudiants du programme de journalisme de l’École des médias, ils savent bien que les perspectives d’embauche ressemblent de plus en plus à celles des artistes professionnels. « Les entreprises médiatiques traditionnelles ont beaucoup de difficulté, dit Philippe Lemelin. On n’engage plus à La Presse +. On n’engage plus à Radio-Canada. Je ne me fais pas d’illusions. »
Les générations précédentes, les cohortes d’il y a 10 ou 20 ans, pouvaient encore rêver d’intégrer une grande salle traditionnelle. Les nouveaux et futurs diplômés reluquent le groupe Vice Media et ses différentes plateformes. Ses enquêtes de journalisme néogonzo, très engagées et personnalisées, se retrouvent à RDI, sur le réseau HBO et sur YouTube.
« Quand j’ouvre un cahier culturel du samedi au Devoir et que 80 % des articles sont du clé en main fourni par les relationnistes, ça me désole, dit franchement le jeune Samuel Lamoureux au vieux représentant de ce vieux média. Je souhaite faire autre chose et, s’il le faut, je vais m’en créer, une job, où je pourrais faire autre chose que du journalisme conformiste. »
Le professeur Jean-Hugues Roy, rencontré une autre fois jeudi midi, en marge d’un autre atelier de journalisme télé pour les étudiants de 3e année, avoue rechercher les candidats qui ont le sens de l’intérêt public.
« J’écoutais l’émission de radio Duhaime le midi tout à l’heure avec les étudiants, à partir d’un ordinateur », raconte-t-il en parlant de la nouvelle du jour, l’arrestation de plusieurs personnes dans le cadre d’une enquête liée au financement illégal des partis politiques. L’ancienne ministre libérale Nathalie Normandeau coanimait cette émission jusqu’à son arrestation.
« La radio va rester, la télé va rester, les vieux médias vont rester et se transformer. Il y en a d’autres à créer, qu’on ne connaît pas encore. J’essaie donc de fournir aux étudiants des outils pour qu’ils se créent leurs propres médias. »
Le professeur souligne aussi que la crise ne concerne pas que les journalistes. Il cite l’ouvrage de Richard et Daniel Susskind, The End of Profession ? (Oxford UP) sur le sujet. « Toutes les professions sont appelées à changer à cause des technologies et de l’intelligence artificielle, même celle régies par un ordre, dit-il. Les auteurs sont avocats et ils disent que, bientôt, des robots vont écrire des opinions juridiques. Ils suggèrent donc d’apprendre à travailler avec les robots. Nous sommes au centre d’une grande révolution. La révolution industrielle a fait disparaître les emplois dans l’agriculture et en a fait naître d’autres. Il y a un siècle, la moitié du Québec travaillait en agriculture. Plein de jobs n’existent pas encore, y compris en information, et mes étudiants vont participer à leur création. »
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