Jardin de délices

La belle revue «Quatre-temps» est publiée par les Amis du Jardin botanique depuis maintenant quatre décennies.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir La belle revue «Quatre-temps» est publiée par les Amis du Jardin botanique depuis maintenant quatre décennies.

C’est bientôt Pâques et le printemps, la fête de la régénérescence et la saison du verdoiement. Beau temps pour présenter «Quatre-temps», belle et brillante revue publiée depuis quatre décennies par les Amis du Jardin botanique, un média de niche qui va très bien merci, même sans site Web et sans publicités.

La maca, ça vous dit quelque chose ? Ce « gingseng péruvien » est aussi décrit comme une « racine aux mille vertus » dans le dernier numéro de l’excellente mais méconnue revue québécoise Quatre-temps (QT). On prête à la maca des effets aphrodisiaques, mais aussi la capacité de combattre l’ostéoporose, les symptômes de la ménopause, voire le cancer de la prostate. Abracadabra !

Une loi péruvienne et un traité international interdisent la sortie du pays de la racine sans une valeur ajoutée, la transformation en farine par exemple. Des biopirates multiplient les assauts pour s’emparer de ce matériel génétique et de bien d’autres ressources biologiques du Pérou, y compris en déposant des brevets. Des filous chinois se déplacent en masse pour l’achat de maca sur le marché noir.

L’article d’Émilie Nault-Simard sur le sujet a été réalisé sur place. Tout comme celui de Brïte Pauchet et du photographe Guy Lavigueur, sur la serre communautaire d’Inuvik à 200 km du cercle arctique qui nourrit en produits frais les quelque 3700 habitants de la ville « lovée dans un méandre du fleuve Mackenzie ».

Ces bijoux (et un tas d’autres) paraissent dans le dernier numéro, celui du printemps 2016, premier du 40e volume, du 40e anniversaire quoi. Les reportages et analyses traitent des « étonnantes légumineuses », histoire de célébrer l’année internationale de ces plantes nourricières décrétée par la FAO, bras de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation.

Bref, le contenu nourrit l’esprit le plus exigeant. En plus, QT s’est offert un remodelage en septembre. La graphiste Martine Maskud a transformé l’ancienne production austère en élégante publication pulpeuse, aérée et colorée.

Papa, maman et moi

 

Quatre-temps se présente comme « la revue du Jardin botanique de Montréal ». Elle est publiée sous le contrôle et pour l’association Les Amis du Jardin. L’abonnement est offert aux membres. Quatre-temps tire à environ 12 000 exemplaires tous les trimestres. Un supplément jeunesse baptisé Flore alors !, destiné aux cinq à huit ans, existe depuis deux ans.

« Quatre-temps, c’est une revue de vulgarisation en botanique et en horticulture, explique la rédactrice en chef, Marie-Hélène Croisetière, qui nous reçoit dans un bureau du Jardin. Les Amis est un organisme sans but lucratif créé pour revaloriser le Jardin et diffuser les connaissances scientifiques sur les plantes. […] Nous avons un parti pris pour la protection de la nature. C’est à la base de la mission des Amis. À mon avis, QT a pour objectif de créer l’émerveillement devant le végétal et de faire réaliser son importance. »

Le destin de la rédactrice en chef est depuis toujours lié au Jardin botanique. Ses parents se sont rencontrés là (« comme simples badauds ») l’année de la fondation des Amis.Elle lit la revue depuis une vingtaine d’années et y a nourri son amour « des plantes et de la nature », assumée avec sa formation en biologie végétale. C’est là aussi qu’elle a fait ses premières armes en journalisme, bénévolement « bien coachée par Martin Paquet, le rédac chef de l’époque », précise-t-elle. Et quand elle a gagné une prestigieuse bourse Fernand Seguin en journalisme scientifique, c’était avec un article en préparation pour QT intitulé « Parole de plante », portant sur la communication entre végétaux.

Les numéros traitent tous de thèmes originaux et surprenants. À l’automne 2015, il était question de « Plantes en péril ». Au dernier hiver, le dossier « Plantes et musiques » rappelait tout ce que les instruments doivent aux arbres, des touches d’ébène du grand piano aux petites éclisses en érable sycomore des instruments à vent en passant par les violons que les luthiers d’ici fabriquent avec des bois indigènes, dont l’épinette blanche et l’érable rouge.

« Je pense que la botanique offre un réservoir de sujets inépuisable parce que les plantes sont au coeur de nos vies, sans même qu’on s’en rende compte, dit la pro du contenu. Sans elles, on n’existerait pas ! Elles sont à l’origine de notre nourriture (boeuf compris), du pétrole, du bois de construction, des tissus, de plusieurs médicaments, des couleurs, alouette. »

Sans le Web

 

Mme Croisetière choisit et développe les angles avec un comité de rédaction où siègent une botaniste, une horticultrice, une retraitée de l’herbier, etc. Ces membres l’épaulent dans la recherche de sujets, mais aussi dans l’édition des textes. Ils assurent aussi la validation scientifique du contenu.

QT paye ses pigistes 125 $ le feuillet, un tarif très honnête dans le contexte actuel de paupérisation croissante des médias. Les propositions lui arrivent de partout, comme ce sujet de la serre nordique. Mais c’est bien elle qui a eu l’idée de l’article sur la maca qu’elle a proposée à une jeune auteure en road trip en Amérique du Sud.

La moitié des textes sont encore écrits par des non-journalistes, bénévolement. « Ces auteurs sont des professionnels du Jardin botanique surtout, mais aussi des spécialistes de domaines précis que je contacte pour l’occasion, précise la rédactrice en chef. Les articles plus didactiques, descriptifs ou pointus sont donnés aux professionnels. »

Ce média de niche, très personnalisé, à l’abri des contraintes financières, peut même se permettre de fonctionner sans publicités (ou presque) et hors Web, ou tout comme. Le site amisjardin.com/revue se contente de montrer les anciennes unes, et la rédactrice en chef travaille à un projet de la numérisation de leurs contenus.

« Nous allons rendre nos archives disponibles, promet-elle. Mais nous n’avons pas besoin de nous occuper beaucoup du Web. C’est comme pour la publicité : nous avions une entente avec un représentant, il nous a lâchés et le travail se fait en interne maintenant. Certains numéros, il n’y a presque pas de pub. Mais bon, il nous faudrait peut-être une page Facebook. Ou des blogues… »

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