Le modèle est viable, mais pourrait être appelé à se transformer

Aujourd’hui La Presse + pour tablette. Et demain ? Une fois le virage numérique négocié, le président éditeur de La Presse en grande mutation précise que la pérennité du nouveau média ne sera pas nécessairement assurée dans sa nouvelle forme mobile et dématérialisée.
« Pérennité ? Je l’ai dit aux employés que je rencontrais [jeudi dernier] : pour moi, ce mot n’existe plus, explique le président Guy Crevier dans une entrevue accordée au Devoir le même jour. Quelles nouvelles révolutions technologiques surgiront dans cinq ou dix ans ? Je ne le sais pas. Mais ce que je sais, c’est que notre modèle est viable. Et je sais qu’à travers nos réductions de dépenses, nous avons privilégié trois éléments fondamentaux : la qualité de l’information, notre capacité à attirer des annonceurs et notre capacité à innover. Parce que je suis conscient que demain ou après-demain il faudra peut-être encore se transformer. »
Il donne l’exemple de la nouvelle version du disque dur multimédia Apple TV qui pourrait être lancée dans les prochaines semaines. « Le nouvel outil va permettre à des médias comme le nôtre d’être consultés sur la télévision. Est-ce qu’on va développer l’interface pour faire ça ? Probablement que oui. Je ne l’annonce pas parce qu’il n’y a aucune décision dans ce sens. Mais c’est le genre de défi que nous devrons assumer dans les prochaines années. Je dis donc que notre modèle est viable. Mais il faudra continuer à évoluer. »
Grande transformation
La révolution technologique perpétuelle continue et s’accélère. La Presse se positionne à l’avant-garde mondiale du mouvement avec sa version numérique pour tablette qui mise sur la diffusion d’un journal numérisé, multimédia et gratuit.
La grande transformation en préparation depuis des années arrive à une étape cruciale début janvier. Les cinq éditions papier de semaine disparaîtront alors.
Cette sortie massive du papier et d’autres causes profondes (dont la crise des revenus publicitaires) expliquent pour la direction la décision d’éliminer 158 postes. Une centaine de ces emplois serait directement liée à l’édition sur l’ancien support.
La direction a rencontré les personnes touchées jeudi. M. Crevier répète depuis que la salle de rédaction de la rue Saint-Jacques dans le Vieux-Montréal demeure la plus grande du Québec et que ses effectifs auront augmenté de 239 en 2011 à 283 au 1er janvier 2016, une situation unique en Amérique du Nord.
« Les gens qui vont quitter l’entreprise au 1er janvier ont fait une contribution exceptionnelle, à tous les points de vue, dit M. Crevier. Je pensais ce matin aux distributeurs. Ça fait trois ans qu’on a négocié avec eux leur fin d’emploi, ils savent que ça s’en vient et ils ont continué à livrer le journal de façon professionnelle. Donc c’est une journée qui est triste, mais en même temps dans un environnement numérique, dans notre modèle viable, les emplois [qui restent] sont de qualité et ne sont pas menacés de précarité. »
L’intersyndicale formée par les cinq syndicats représentant les quelque 600 employés restants s’inquiète des conséquences des compressions. Selon les syndiqués, la production de la nouvelle version exige plus de travail que l’ancienne forme, ne serait-ce qu’en raison du volume d’information à traiter, évalué à 40 % de plus sur tablette que sur papier.
« Selon nous, essayer d’en faire plus avec moins n’est pas une option », a déclaré le journaliste Charles Côté, porte-parole de l’intersyndicale, dans un communiqué diffusé le jeudi noir des compressions. « Au final, ce sont aussi les lecteurs et les annonceurs qui risquent d’en faire les frais. »
Les conventions collectives arrivent à échéance à la fin de l’année. L’intersyndicale demande plus de transparence de la part de la direction dans la perspective de la négociation des nouveaux contrats de travail.
Transparence ?
Selon des calculs d’analystes des médias, le nouveau média et le maintien du papier pouvaient faire perdre jusqu’à 2,5 millions par semaine. Ce montant n’a pas été confirmé.
Le président éditeur Crevier réplique que des mandataires des syndicats voient les résultats comptables de l’entreprise, sous le sceau de la confidentialité. « Depuis 2009, chaque année, nous transmettons à un représentant de la CSN et à un représentant de la FTQ l’état de nos résultats. Nos syndicats […] sont donc au courant de ça. Ils sont capables de constater qu’aujourd’hui, la mesure prise est une mesure réelle. »
Il contextualise alors les décisions managériales qui ont mené aux récentes mises à pied. « Ça n’a rien à voir avec les négociations, dit-il. En 2009, nous avions un problème de structure de coût et nous voulions prendre le virage numérique. Les syndicats ont été admirables. Ils ont compris ça. Nous avons aussi rencontré des problèmes avec les fonds de pension qui ont été réglés. Aujourd’hui, je ne vais pas me retourner vers nos employés pour leur demander encore une contribution. Le problème qu’on avait à régler [avec les mises à pied] ne concernait pas des structures de coût de nos syndicats. Le problème, c’est que nos niveaux de dépenses sont trop élevés par rapport aux niveaux de revenus. Nous faisons simplement une mise à jour. Il n’y a rien dans notre démarche aujourd’hui qui concerne et qui touche le renouvellement de la convention collective. »