Les trouble-fête de la télé

Action, réaction. La révolution numérique se poursuit autour de la télé tandis que la résistance de certains États s’organise. Et encore une fois, la différence de culture politique entre l’Europe et l’Amérique du Nord saute aux yeux.

Ici, les grands joueurs de la nouvelle économie se drapent dans l’idéologie libertaire du « touche pas à mon Net ». Là-bas, les gouvernements adaptent des mesures pour réglementer les nouveaux canaux.

HBO, chaîne phare du nouvel âge d’or des séries télé, annonçait cette semaine qu’elle offrira un abonnement en ligne aux États-Unis à compter de janvier 2015. Le service HBO Go, donné jusqu’ici en complément du service câblé, deviendra alors une offre de vidéo à volonté, à l’image de Netflix, grand trouble-fête mondial des empires de la télé. Les actions de Netflix ont reculé de 22 % après l’annonce.

« Il est temps d’abattre les obstacles qui barrent la route de ceux qui veulent s’abonner », a dit mercredi Richard Plepler, patron de la chaîne qui a créé et diffusé des séries de très haute qualité depuis deux décennies, dont les récentes Game of Thrones et True Detective. La première phase de la webtélé ne concerne que les États-Unis. Logiquement, le service devrait s’étendre rapidement dans le monde, y compris au Canada.

Tout le temps, partout

 

Le choix rappelle le mouvement de bascule rapide, massif et révolutionnaire qui affecte le monde de la télévision. Les modes de consommation des contenus audiovisuels ont évolué à la faveur des mutations technologiques. La dématérialisation et la mobilité permettent maintenant de visionner du contenu tout le temps, partout.

Cette transformation touche aussi le coeur du système de financement de la télévision. Les redevances sont souvent en retard d’une révolution et tout le temps, partout, les systèmes nationaux s’inquiètent de l’érosion des ressources.

Le président de la France a annoncé la semaine dernière qu’il souhaitait modifier sa mécanique nationale pour y inclure les nouveaux écrans de captation de la télé. Les patrons des chaînes traditionnelles militent pour cet ajustement depuis des mois.

La contribution française est fixée à 133 euros (192 $) par année, par poste de télé. La mécanique fiscale est née à une époque où il n’existait que ce moyen pour capter les émissions. La contribution à l’audiovisuel public (CAP) finance généreusement certains mastodontes. France Télévision reçoit par cette entremise les deux tiers de son budget et Radio France y puise 18 % du sien. L’enveloppe sert aussi à soutenir un peu (3 %) l’Institut national de l’audiovisuel (INA), fleuron de la mémoire et des études télévisuelles et cinématographiques de France.

À terme, comme dans certains autres pays européens, la possession d’une tablette ou d’un ordinateur forcera le paiement de la taxe réservée jusqu’ici aux ménages possédant un téléviseur. La transformation est prévue pour 2016 en France.

Le président Hollande a aussi interpellé l’Union européenne pour qu’elle uniformise ses politiques. Le diffuseur en ligne Netflix émet en France depuis le Luxembourg pour échapper à la fiscalité française.

Et ici?

 

La modernisation des systèmes de redevances taraude les États plus ou moins interventionnistes. Au Canada, comme aux États-Unis, il n’existe aucune taxe spécifique liée aux appareils possédés par les citoyens. Les réseaux publics sont subventionnés directement. Par contre, les chaînes généralistes n’ont pas droit aux partages d’une part des revenus de la câblodistribution alors que toutes les composantes du système bénéficient de différentes mesures fiscales pour encourager la production.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, organisme réglementaire, poursuit ses travaux « Parlons télé » pour comprendre ce que veulent les citoyens consommateurs et les joueurs de l’industrie. En audiences, le mois dernier, Netflix s’est livré à un bras de fer avec le CRTC, martelant qu’il refusait d’être réglementé et qu’il ne fournirait aucune donnée sur l’étendue de son marché.

Le gouvernement conservateur est intervenu dans le débat en affirmant qu’il n’était pas question de « taxer Netflix ». De même, il y a quelques années, les conservateurs ont refusé la « taxe iPod » qui aurait pu fournir une redevance à l’industrie de la musique, complètement chamboulée par la numérisation et le pillage massif de fichiers.

Dans les faits, en l’occurrence, il ne s’agirait pas de créer un nouveau prélèvement, mais d’étendre celui existant. Peu importe, les jeux semblent faits, et ici l’action n’entraînera vraisemblablement pas de réaction…

La modernisation des systèmes de redevances taraude les États plus ou moins interventionnistes.

215 $, 240 $ ou 350 $ par tablette

La Suède, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont déjà réussi à réformer leur système pour y inclure les nouveaux écrans numériques.

Stockholm taxe maintenant les PC et les tablettes à une hauteur dépassant les 2000 couronnes (environ 350 $). Les téléphones intelligents ne sont pas encore concernés. Environ 90 % des ménages payaient déjà la redevance télé traditionnelle selon un calcul basé sur les « foyers fiscaux », les ménages, quoi, comme en France, en Italie, en Suisse et en Irlande. La collecte a commencé en mars 2013.

Londres, qui taxe la radio depuis les années 1920 et la télé depuis 1946, applique maintenant la « Colour TV Licence » à tous les écrans, ordinateurs, téléphones mobiles, tablettes, à l’enregistreur vidéo « ou d’autres appareils ». Les ménages qui possèdent un de ces récepteurs doivent payer la taxe annuelle de 240 $, et c’est tout.

Berlin passe encore par les logements, selon le principe que chacun est maintenant branché ou câblé. Auparavant, les personnes qui ne possédaient pas de téléviseur n’étaient soumises automatiquement qu’à la « miniredevance » sur les postes radio. L’impôt allemand au contenu coûte 215 euros (310 $) par année et par logement depuis le 1er janvier 2013.


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