Québecor vend Sun Media

Québecor avait payé Corporation Sun Media près d’un milliard de dollars en 1999 après une surenchère l’opposant à Torstar Corp.
Photo: Justin Tang La Presse canadienne Québecor avait payé Corporation Sun Media près d’un milliard de dollars en 1999 après une surenchère l’opposant à Torstar Corp.

L’année 2014 aura été celle de tous les grands bouleversements pour Québecor. Après l’entrée en politique de son principal actionnaire, Pierre Karl Péladeau, et la vente de tous ses hebdomadaires régionaux québécois, l’empire médiatique vend sa filiale Corporation Sun Media à Postmedia. La transaction de 316 millions transfère la propriété de quelque 175 journaux et publications de langue anglaise, achetés par l’entreprise montréalaise pour environ un milliard en 1999.

L’entente inclut des journaux populaires phares du Canada, dont tous les populaires tabloïds de la chaîne Sun de Toronto, Ottawa, Winnipeg, Calgary et Edmonton. Postmedia possède déjà The National Post et The Gazette.

La transaction arrache du même coup une partie des fournisseurs de contenu de l’agence de presse Québecor Média Inc (QMI). Par contre la chaîne d’informations et de commentaires continue Sun News Network ne change pas de main. Le réseau idéologiquement à droite perdrait entre 16 et 18 millions annuellement.

Québecor conserve encore Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec et de nombreux magazines. Toutefois, la question se pose : croit-elle encore au papier dans notre monde de plus en plus mobile et dématérialisé ?

« Quand on pose un geste, c’est après avoir analysé les segments de marché, répond Martin Tremblay, vice-président Affaires publiques de Québecor. Il est vrai que, de façon indépendante, on est arrivés à la même conclusion, qu’il fallait un joueur dans chacun de ces marchés. Mais il s’agit bien de deux analyses de marché distinctes. »

Postmedia a expliqué que la vente découle d’une approche entreprise par la direction de Québecor il y a environ deux ans. L’entreprise était alors encore directement dirigée par Pierre Karl Péladeau, principal actionnaire et fils du fondateur.

« Le marché des médias est en évolution, dit M. Tremblay, sans commenter le détail de cette chronologie. Nous sommes convaincus que le secteur de la presse écrite canadienne est rentable, mais qu’il se doit d’être consolidé pour avoir un joueur assez solide afin d’affronter les différents autres joueurs qui sont dans les médias numériques. L’annonce [de lundi] fait que nous ne sommes pas ce joueur. »

Postmédia abonde dans ce sens. « Pour survivre et rivaliser avec les grandes entreprises numériques basées à l’étranger, nous devons être assez puissants pour combattre et gagner», a déclaré Paul Godfrey, président de Postmedia, dans une note envoyée à ses employés après l’annonce de l’achat lundi matin.

Québecor avait payé Corporation Sun Media près d’un milliard de dollars en 1999 après une surenchère l’opposant à Torstar Corp. Il faut par contre juger la dévaluation de plus des deux tiers en comptant avec les revenus annuels générés par le consortium. « L’investissement dans Sun a été profitable pour Québecor », tranche M. Tremblay.

Chose certaine, l’entreprise se repositionne autour des télécommunications, surtout autour du distributeur de signaux Vidéotron et des services de téléphonie. Des estimations laissent penser qu’elle va investir jusqu’à deux milliards pour devenir le quatrième joueur dans les communications mobiles en concurrençant Bell, Rogers et Telus.

Et après ? L’entreprise va-t-elle maintenant se délester du Journal de Montréal, son fleuron d’origine fondé il y a 50 ans, et de son petit frère de Québec ? « Je veux juste prendre le temps de réitérer qu’on croit au papier, qu’on investit dans les plateformes numériques de ces médias qui sont au coeur de nos stratégies de convergence, dit Martin Tremblay. Ça fait partie de notre ADN et on a l’intention de continuer d’investir dans ces marques. »

La même logique pourrait aussi pousser Québecor à se départir du Groupe Archambault, un des plus grands disquaires et libraires du Québec, comme des Clubs Vidéotron, désormais désuets. Une rumeur persistante parle de négociations en cours. Cette fois, M. Tremblay refuse tout simplement de commenter.

PKP, magnat député

Québecor vend ses médias anglophones. L’empire réalise-t-il ainsi le fantasme de séparation du Canada de son principal actionnaire, le député péquiste Pierre Karl Péladeau?

Absolument pas répond Martin Tremblay, vice-président, Affaires publiques de Québecor. « L’implication de M. Péladeau dans la transaction date du temps où il était président et chef de la direction, dit-il. Il n’a plus d’impact depuis qu’il a démissionné. La nécessaire consolidation de la presse écrite canadienne est partagée par le conseil d’administration. Quand M. Péladeau a quitté la direction, au mois de mars, pour faire le choix de la politique, il ne s’est pas mêlé de cette transaction. »

Toutefois, les inquiétudes demeurent au sujet de l’implication en politique du magnat des médias, aspirant chef non officiel du PQ. Le président de la Fédération professionnelle du Québec répète la position adoptée en mars : « Il faut que le député Péladeau vende ses actions dans les médias, dit le président Pierre Craig, lui-même de Radio-Canada. Il peut mettre les autres actions en fiducie. Mais tout ce qui touche les médias doit être vendu. »

Il revient aussi sur l’inconfort créé pour les journalistes du groupe. « Je redis que quiconque mettrait en doute le professionnalisme et l’intégrité de mes collègues de Québecor aurait à faire à moi personnellement, dit M. Craig. Ces gens font du bon boulot. Mais veut, veut pas, si notre grand, grand patron est en politique, comme journaliste, a-t-on la même liberté de travail ? »


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