La télé en baisse, le numérique en hausse

La « restructuration » prévoit l’abolition de 1000 à 1500 emplois d’ici cinq ans.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La « restructuration » prévoit l’abolition de 1000 à 1500 emplois d’ici cinq ans.

Moins d’employés, moins de bureaux, moins de télé, moins de productions maison, mais plus de numérique. Voilà en gros le plan pour redéfinir CBC/Radio-Canada (RC) et en faire « une entreprise agile et souple » d’ici 2020.

 

La « restructuration » a pour conséquences la réduction du budget d’une centaine de millions et l’abolition d’encore 1000 à 1500 emplois. L’entreprise a déjà été affectée par trois vagues de compressions au cours des cinq dernières années.

 

La haute direction a dévoilé jeudi son nouveau plan aux employés. La nouvelle a été reçue comme un nouveau coup de massue.

 

Le 10 avril, le diffuseur avait encore frappé fort en annonçant des compressions de 130 millions et la suppression de quelque 657 postes à temps plein au cours des deux prochaines années.

 

« L’atmosphère est déprimée au maximum dans la boîte », résume le président de Syndicat des communications de Radio-Canada (SCRC), qui représente les journalistes en poste au Québec. Alex Levasseur parle d’« une stratégie de privatisation et de démantèlement » du diffuseur.

  

Trop grosse, trop coûteuse

 

Le p.-d.g. Hubert T. Lacroix présente plutôt le plan stratégique baptisé Un espace pour nous tous comme une manière de faire muter le diffuseur dans un monde en complète transformation. La stratégie parle d’une transition de producteur à radiodiffuseur multiplateforme, avec un objectif de viabilité financière à long terme.

 

« L’annonce du 10 avril ne visait qu’une chose : équilibrer le budget de 2014-2015 qui présentait un manque à gagner important,dit M. Lacroix. Toutes les décisions du mois d’avril ont mis l’accent sur cet objectif. Maintenant, on annonce une vision, une destination, qui va nous amener à 2020. On annonce une entreprise qui va être moderne, mobile, qui va pouvoir s’ajuster aux environnements changeants et qui aura un financement plus durable, plus viable. »

 

Le président ne peut toutefois pas garantir que la saignée budgétaire ou du personnel s’arrêtera là. « [Nous travaillons] avec l’hypothèse que les crédits parlementaires restent stables au cours des cinq prochaines années, rappelle-t-il. [Mais normalement] il ne devrait pas y avoir d’annonces comme celles que j’ai faites trois fois depuis cinq ans. »

 

La direction ne peut pas non plus décrire les effets concrets des pertes de plus de 1000 postes sur les différents services. Chose certaine, CBC/RC aura besoin de la moitié moins des espaces de bureau et de production, soit deux millions de pieds carrés. Le projet de vendre la tour et les terrains de l’est de Montréal se poursuit avec deux consortiums qui devraient déposer leurs offres dans les prochains mois.

 

Les grandes balises du plan prévoient la réduction de l’offre télévisuelle et la « diminution de façon importante » de la production d’émissions en interne, sauf pour le secteur de l’information. En revanche, le diffuseur souhaite doubler sa portée numérique d’ici 2020 et faire en sorte que 18 millions de Canadiens (un sur deux) utilisent alors ses services dématérialisés très ciblés, pour des auditoires fragmentés.

 

« Notre infrastructure est trop grosse, trop complexe et trop coûteuse,dit Louis Lalande, vice-président du Service français. On doit faire tout ce qu’on peut pour s’assurer que toutes nos décisions vont permettre l’émergence de contenus télé et radio pour l’univers actuel, mais aussi pour l’univers numérique. C’est ça l’enjeu fondamental. »

 

Des charognards

 

Le président du SCRC y voit plutôt un raisonnement fallacieux, un sophisme du faux dilemme. « On a affaire à un mouvement accéléré de démantèlement, de privatisation du diffuseur public, dit Alex Levasseur. On a beau nous dire qu’il faut être plus numérique, on est tout à fait d’accord. Ça ne justifie pas la décision de réduire les bulletins de nouvelles de moitié en région, de fermer la production en télévision, de diffuser moins et seulement pendant les heures de grande écoute. Tout ça n’a rien à voir. »

 

Il est toutefois difficile de connaître le détail des conséquences concrètes. Chose certaine, la direction répète qu’il n’est pas question d’introduire de la publicité sur les chaînes radio généralistes parlées anglophone et francophone.

 

Le plan stratégique cherche notamment à dégager une réserve de 25 à 30 millions pour constituer un coussin de sécurité financière et soutenir la transition numérique. La société publique n’a pas légalement le droit de négocier une marge de crédit auprès d’une institution prêteuse. Le conseil d’administration aurait en vain tenté de convaincre le ministère du Patrimoine de lui accorder ce droit.

 

De même, la ministre Shelly Glover aurait refusé d’allonger des fonds particuliers pour faire face aux obligations financières liées à la mise à la retraite de centaines d’employés. Elle a salué les mesures dévoilées par CBC/RC en réaffirmant que selon son gouvernement, l’adaptation en cours de la société d’État doit se faire « dans les limites existantes de son budget ».

 

« On a affaire à deux charognards,dit le président syndical Alex Levasseur. Hubert Lacroix et le gouvernement Harper, c’est bonnet blanc, blanc bonnet. [Ils nous entraînent] dans une spirale qui va nous mener où ? Qui va nous mener à la disparition à moyen terme. Une fois qu’on fera ce que les autres font, sans plus de moyens, la prochaine étape ce sera de demander : “ pourquoi continuer à payer pour ça ?  »

 

CBC/RC, fondé dans les années 1930, subit des compressions incessantes depuis plus de quatre décennies. Hubert T. Lacroix rappelle que la dernière augmentation du budget de son entreprise remonte à 1973.

 

Son propre mandat de président se termine fin 2017. Il ne verra donc pas à ce titre le bout de sa réforme, en 2020.

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