L'actualité à travers le prisme du Devoir

Le Canal Savoir diffuse ce lundi soir, à 20 h, la première de la nouvelle émission Le Devoir+ consacrée au quotidien, à ses artisans mais aussi et surtout à la mise en perspective critique de l’actualité.
Le programme de cette émission inaugurale comprend des entrevues avec les chroniqueurs Michel David (sur le politicien idéal) et Éric Desrosiers (sur les mesures d’austérités du FMI). La rédactrice en chef Josée Boileau parle des défis du journalisme d’enquête. La philosophe Marianne di Croce présente son Devoir de philo sur la conception de l’éducation développée par Hannah Arendt.
L’émission sera rediffusée pendant tout le mois, et les suivantes reproduiront ce modèle. Les sites Internet de Canal Savoir et du Devoir offriront des contenus bonifiés sur les sujets abordés tandis que la radio CIBL (101,5 FM) diffusera le lendemain de la première télé de chacune des émissions des entrevues avec des journalistes dans le cadre du Midi libre.
Karina Marceau dirige le projet. Mme Marceau a elle-même travaillé comme journaliste pour plusieurs réseaux (TVA, TQS, Radio-Canada), avant de poursuivre une double carrière d’animatrice (à TQ notamment) et de documentariste. Elle explique et contextualise Le Devoir+.
Le Devoir: D’où vient cette idée d’une émission consacrée au Devoir?
Karina Marceau: J’y ai pensé à l’été 2011, alors que j’animais l’émission de radio du retour à la maison de Radio-Canada, à Québec. C’est une émission de deux heures et je devais faire des entrevues relativement longues. Mais le long, pour la radio et pour les médias en général, personnellement, je trouve ça assez court, comme animatrice et comme auditrice ou téléspectatrice. On a rarement le temps d’aller plus en profondeur, de plonger dans un sujet et moi, ça me manque. L’animateur Stéphan Bureau a déjà défendu la slow TV. Je suis pour aussi. Je suis pour le format long. C’est d’ailleurs pourquoi je fais des documentaires. J’ai donc défendu un projet qui ne ferait pas que surfer sur l’analyse, avec ces entrevues qui frôlent la vingtaine de minutes. Je l’ai défendu avec Le Devoir, parce que je lis ce journal. Je l’ai proposé avec le Canal Savoir parce que peu de chaînes peuvent se permettre de faire de la slow TV. Ça me semblait donc un mix naturel.
Est-ce de la télé à l’ancienne, pédagogique?
La télé se réinvente beaucoup. Elle revisite toutes les formes. Les séries documentaires aussi se questionnent beaucoup pour trouver de nouvelles manières de témoigner, de raconter. Bref, la télé se questionne beaucoup sur le contenant et moins sur le contenu. Notre émission ne révolutionne rien d’un point de vue visuel. Elle est tout de même audacieuse parce qu’elle propose du contenu, parce qu’elle donne du temps à la réflexion. […] Je suis aussi très heureuse de pouvoir proposer de la qualité malgré des budgets modestes. Je trouve que ça démontre que le contenu constitue la base essentielle. Si d’autres émissions mettent l’accent sur tant de fla-fla, c’est peut-être pour compenser le vide.
Pourquoi avoir choisi des journalistes pour réfléchir à voix haute avec vous? Pourquoi pas des intellectuels, des professeurs?
Les journalistes ont l’habitude de la synthèse et de la vulgarisation. Ils ont l’habitude des entrevues et ils savent faire le ménage dans leurs contenus pour en extirper l’essentiel. C’est plus facile et on en a plus en vingt minutes avec des journalistes.
Comment choisissez-vous les sujets abordés?
On veut que l’émission reste pertinente pendant un mois. On ne va donc pas vers les sujets vite périmés ou surexploités. On s’attarde aux dossiers, aux analyses, aux perspectives. Je travaille avec le journaliste Jean-Philippe Cipriani pour la sélection. Ensemble, on détermine six sujets. On en discute avec Josée Boileau pour la sélection finale. En plus, avec elle, on discute d’un enjeu professionnel du métier.
M. Cipriani vient d’être nommé rédacteur en chef du site ProjetJ, l’observatoire des médias. Voyez-vous Le Devoir+ comme une autre version de la métacritique des médias, comme une autre façon pour les médias de s’autocritiquer?
Je ne vois pas notre travail comme une production nombriliste. Notre objectif de fond c’est d’amener le téléspectateur à comprendre comment les décisions sont prises dans les salles de rédaction. Ou à quels défis éthiques elles sont quotidiennement confrontées. Notre projet se rapproche donc un peu du Point Médias, animée autrefois par Madeleine Poulin, à Radio-Canada. On le voit encore avec la commission Charbonneau, les médias et les journalistes demeurent des acteurs très importants de la vie démocratique, mais les téléspectateurs ont rarement accès aux questionnements que se posent professionnellement les journalistes. Nous ouvrons donc une fenêtre sur ce monde pour montrer comment se construit un journal.
En même temps, de plus en plus de médias proposent des entrevues avec leurs journalistes. Lapresse.ca interviewe les signatures-vedettes de La Presse. Les chroniqueurs et les blogueurs du Journal de Montréal résument leurs opinions en entrevues vidéo sur le site journaldemontreal.com. En quoi Le Devoir+ est-il différent? Est-ce de la «vedettarisation» des journalistes sous une autre forme?
C’est vrai, parfois, des reporters deviennent plus gros que leurs nouvelles. Dans la première émission, par exemple, Michel David et Éric Desrosiers s’effacent derrière leurs contenus. De notre point de vue, dans notre émission, les journalistes ne sont pas présentés comme des vedettes. La vedette, c’est le sujet.
Propos recueillis par Stéphane Baillargeon