Ce que Radio-Canada veut dire

En 1956, l’animateur du magazine d’actualités Point de mire, René Lévesque, a marqué la conscience politique québécoise.
Photo: Source Radio-Canada En 1956, l’animateur du magazine d’actualités Point de mire, René Lévesque, a marqué la conscience politique québécoise.

Les institutions aussi sont mortelles. En tout cas, elles aussi peuvent dépérir. Radio-Canada est-elle toujours une institution « déterminante, incontournable qui façonne de manière unique notre connaissance de la société dans laquelle nous vivons ou de l’actualité mondiale présente dans notre quotidien»?

Le sénateur Serge Joyal pose la question et y répond lui-même très franchement : « On peut en douter», écrit-il dans un texteintitulé « Conscience québécoise ou canadienne ? ». «Après 60 ans, la vieille dame présente des signes inquiétants de faiblesse. »


L’essai pamphlétaire paraît dans l’ouvrage La télévision de Radio-Canada et l’évolution de la conscience politique au Québec (PUL). Le recueil, dirigé par les professeurs Denis Monière (U de M) et Florian Sauvageau (Laval), présente les actes d’un colloque sur le même thème organisé vendredi, à Québec, par le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval et la Société du patrimoine politique du Québec, une fondation de l’ex-ministre du Patrimoine Marcel Masse. Les propos et les échanges étaient peut-être différents des positions défendues dans le livre dont il est question maintenant.


Le colloque et la publication accompagnent le soixantième anniversaire de la télévision de Radio-Canada, lancée en septembre 1952. Depuis, cette institution a beaucoup compté pour affermir la culture ou la langue, mais aussi pour définir cette « conscience politique » au centre de l’examen.


On parle de quoi exactement ? On parle de ça : « La conscience politique oriente l’individu et l’amène à poser des actes politiques et à participer, comme le disait Rousseau, à une volonté générale dans laquelle l’individu se dissout pour mieux se préserver », écrit Denis Monière dans son texte introductif. « La conscience politique, c’est donc l’ensemble des représentations qui sont transmises aux individus et qui justifient le fonctionnement du système politique en légitimant les autorités, le régime et la communauté politique. Sans elles, il n’y aurait pas de vivre-ensemble. »


Les savants auraient pu préférer la notion d’« idéologie », tout simplement, puisque les examens débordent assez largement le strict cadre du « système politique ». Heureusement, d’ailleurs, parce que sinon, les analyses se cantonneraient aux sempiternelles querelles constitutionnelles, entre un nationalisme ou l’autre, québécois ou canadien.


Quelquesproductions baignent dans cette eau stagnante. Ainsi, Denis Monière, indépendantiste notoire, compte les « références identitaires » dans les bulletins d’information de RC, de la CBC et de TVA pour finalement conclure que les symboles canadiens l’emportent sur les québécois sur les chaînes d’État, à 56 % en français, à 74 % en anglais. TVA balance à égalité entre les deux mondes référentiels.


À quoi bon cette comptabilité ? Faut-il crier à la propagande, au nation building, ou conclure simplement que le médiatique est tributaire de la géographie ?


Culture commune


Le reste, plus sémantique que lexicométrique, sert justement à montrer comment Radio-Canada a servi de creuset pour « diluer les différences culturelles, créer une culture commune et forger un sentiment d’appartenance à la nation ». Une quinzaine de spécialistes démontent la mécanique du diffuseur pour porter l’attention sur la couverture internationale, les informations, le divertissement, le téléroman, la langue ou les nouvelles technologies.


Josette Brun et Laurie Laplanche s’intéressent plus particulièrement à Femmes d’aujourd’hui, une émission mythique diffusée de 1965 à 1982. Elles concluent que, comme d’autres talkshows féminins à l’américaine, celui-ci a « approvisionné l’espace public questions politiques axées sur les problèmes, l’expérience et la parole des femmes ». Cette lecture renforce l’idée que l’institution « aurait contribué à la progression de la société ».


Les jugements autrement sévères abondent. Dans « La société du spectacle radio-canadienne », le politologue Marc Chevrier de l’UQAM pourfend la dérive de la programmation, qu’il juge de plus en plus axée sur le divertissement, si possible humoristique. « C’est tout à la fois le politique et la culture qu’elle réduit,écrit-il, à force de mélanges niveleurs, et elle produit son silence, par tout ce qu’elle escamote dans ces fictions données pour des tranches du monde vécu. »


Le sénateur libéral Joyal, d’assez stricte obédience trudeauiste, s’assume comme défenseur de cette grande institution nationale qu’il souhaiterait plus canadienne et plus intellectuelle. Il écorche au passage les tentatives d’ingérence politique dans la gestion de l’institution, les compressions budgétaires, les attaques incessantes des concurrents. Il considère bien sûr les mutations technologiques. On connaît la chanson.


M. Joyal devient plus intéressant quand il examine les effets concrets de ce contexte difficile pour le diffuseur public sur le contenu diffusé. Il critique la « conscience rabougrie » colportée par le média pancanadien qui a progressivement réduit la couverture de la réalité francophone du pays au seul Québec. Il attaque de front l’« inconscience des affaires publiques » empêtrées dans ce qu’il appelle le « surdivertissement », à base de téléréalités abrutissantes.


« L’avenir de Radio-Canada restera véritablement incertain tant qu’elle ne s’extirpera pas de son complexe québéco-québécois, qu’elle ne reflétera pas plus honnêtement la réalité canadienne et qu’elle ne portera pas plus honnêtement la réalité canadienne et qu’elle ne portera pas son ethos d’institution publique nationale à un niveau supérieur à celui de ses concurrents du privé, conclut-il. Sinon, elle continuera de se débattre avec l’audimat pour racoler des réclames publicitaires, comme les coupures récentes l’obligeront à le faire, se fera pourchasser dans les couloirs du pouvoir par les nouveaux prêtres de l’orthodoxie en place et continuera de se faire grignoter par ses concurrents aux dents de loup. »

À voir en vidéo