Médias - Le Huffington Post Québec dans la mire
Le site d'information en ligne Huffington Post, en voie de mondialisation, affirme recevoir de nombreuses offres de collaboration à sa future version québécoise. Et ce, même si les blogueurs devront travailler gratuitement, selon le modèle d'affaires éprouvé de l'entreprise américaine.
Cette éventuelle participation non rémunérée au Huffington Post Québec (HPQ), qui doit voir le jour dans quelques semaines, suscite un débat. Le chroniqueur Simon Jodoin, de Voir, mène la charge critique depuis cinq jours.Huit noms de collaborateurs potentiels de prestige ont circulé, dont Steven Guilbault, Françoise David et Amir Khadir, de Québec solidaire, et Pierre Curzi, député indépendant. Plusieurs d'entre eux hésiteraient maintenant.
«Tout mouvement de réflexion est serein et bienvenu, quel qu'il soit, répond au Devoir, par écrit, Patrick White, nouvel éditeur du HPQ, entré en fonctions hier. Je n'ai aucun problème avec ça. J'aurais même été surpris de l'absence de débats. Je ne sens pas de mouvement de refus de collaboration, par contre. Au contraire. Un seul blogueur nous a contactés pour avoir plus d'éclaircissement sur le fonctionnement du site. C'est tout. Je suis inondé de demandes de blogueurs qui veulent se joindre au Huffington Post Québec. Mon courriel déborde et le téléphone ne dérougit pas depuis 10 jours.»
Renart Léveillé, fondateur du site Le Globe, se dit prêt lui aussi à accueillir gratuitement des collaborateurs de prestige. «C'est un projet québécois qui veut créer de l'emploi pour les gens d'ici», a-t-il écrit sur sa page.
Modèle alternatif
L'éditeur et rédacteur en chef, Patrick White, rappelle alors que son modèle d'affaires est clair et connu de tous depuis 2005. «Tous les journalistes du Huffington Post sont payés et les pigistes seront payés également, écrit-il au Devoir. Les blogueurs, qui seront fort nombreux pour le Québec, le font sur une base volontaire et personnelle. Le Huff Post Québec va leur offrir une vitrine exceptionnelle au plan de la visibilité, des médias sociaux et de la diffusion des idées, peu importe leur affiliation politique, religieuse, corporative ou sociale. Au Canada, le Huffington Post compte déjà deux millions de visiteurs uniques par mois, après seulement sept mois d'activité (soit plus que National Post.com), dont 200 000 proviennent du Québec. Imaginez l'impact au Québec après le lancement à la fin de janvier.»
La sexologue Jocelyne Robert a révélé qu'elle aussi a accepté l'invitation du HPQ. «Sur la sémantique, je suis assez d'accord [avec les critiques], écrit-elle. Mais, attention, le HPQ ne demande pas de textes inédits et, par conséquent, n'exige aucune somme de travail particulière.»
Mme Robert explique aussi qu'il n'y a pas plus «snobée tous azimuts, à gauche, à droite, chez les curés comme chez les libertins», que sa discipline, la sexologie. «En conséquence, un peu de nuance s'impose. Bien sûr qu'il faut défendre l'idée que le travail d'écriture et d'idéation se paie. Mais il faut tout autant se méfier des généralisations. Tout ne se paie pas.»
Le modèle alternatif en ligne doit encore prouver sa viabilité. The Huffington Post, créé il y a six ans par l'Américaine Ariana Huffington, a construit sa réputation en agrégeant les textes de milliers de collaborateurs, sans les payer, mais en leur assurant une forte résonance, des dizaines de millions de visiteurs uniques par mois. Mme Huffington a vendu son site à American Online (AOL) pour plus de 300 millions, en février, tout en conservant son poste de gestionnaire.
Depuis, le HuffPost développe son expansion mondiale. La force d'attraction du site lui permet maintenant de s'allier avec de gros joueurs des médias traditionnels. Les nouvelles diffusées par le HP Canada proviennent notamment de la CBC, du Globe & Mail et de Canoë, qui est pourtant un concurrent direct.
«Si une nouvelle est intéressante, qu'elle vienne de Canoe.ca, Cyberpresse, Branchez-vous ou Radio-Canada.ca, le Huff Post Québec fera de l'agrégation et enverra le trafic sur ces sites», résume M. White.
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«Le contenu, en grande partie basé sur une agrégation immodérée et des légions de blogueurs non payés, demeure médiocre, mais personne ne semble s'en soucier», commente le spécialiste des médias du Guardian dans l'édition d'hier. Le journal prestigieux s'étonne aussi de l'alliance entre le site et des médias de qualité, dont Le Monde et El País. «C'est aussi appétissant qu'une alliance entre Alain Ducasse et McDonald's», commente le journal indépendant, qui juge «médiocre» le contenu du HuffPost.