Google+, le grain de sable dans le monopole des réseaux sociaux

Moins d’un mois après son apparition dans le cyberespace, le réseau social de Google a déjà attiré 20 millions de visiteurs uniques.
Photo: Moins d’un mois après son apparition dans le cyberespace, le réseau social de Google a déjà attiré 20 millions de visiteurs uniques.

La mathématique a guidé la riposte. En 2011, un internaute passe en moyenne plus de temps sur Facebook que dans le moteur de recherche Google: 33 minutes par jour à réseauter, contre 14,5 minutes à chercher, selon Alexa, une boîte américaine spécialisée dans la quantification de l'économie numérique.

Ceci explique donc cela et, surtout, l'apparition au début de l'été de Google+, la énième tentative de Google de faire vaciller Facebook, champion toutes catégories de la numérisation des rapports humains, de la communication en réseau et des amitiés virtuelles. Et à en juger par les premiers pas de ce nouvel outil de communication sur la Toile, l'ambitieux projet n'aurait rien d'un baroud d'honneur.

Les chiffres donnent en effet le ton. Moins d'un mois après son apparition dans le cyberespace près de chez vous — c'était le 29 juin —, le nouveau réseau social a attiré 20 millions de visiteurs uniques, dont cinq millions en provenance des États-Unis, a indiqué cette semaine ComScore, une entreprise qui mesure la fréquentation de sites Web. Sur ce nombre, 10 millions ont ouvert un compte. Le Canada, avec 860 000 internautes, arrive au 4e rang des curieux, juste derrière la Grande-Bretagne et l'Inde. On est loin des fiascos cristallisés par Wave et Buzz, précédentes attaques fomentées par Google contre le Facebook de Mark Zuckerberg.

La semaine dernière, les inscriptions entraient dans les serveurs de la compagnie de Mountain View en Californie au rythme de 800 000 usagers chaque jour, permettant à Google d'espérer atteindre la barre des 20 millions d'usagers inscrits à son nouveau service en ligne, bien avant la fin de l'été.

«Je n'ai jamais vu un truc grossir si vite, a résumé cette semaine Andrew Lipman, analyste chez ComScore, dans les pages du Wall Street Journal. Le seul autre site à avoir accumulé autant de nouveaux visiteurs en peu de temps a été Twitter en 2009, mais cela s'est produit sur plusieurs mois», pas semaines. «La recette, l'interface, le concept sont bons», lance à l'autre bout du fil Nichole McGill, spécialiste des réseaux sociaux à l'Université d'Ottawa. Le Devoir lui a parlé cette semaine. «Les early adopters [ces acheteurs précoces au fondement ou pas des tendances commerciales et numériques] aiment ça. Et c'est un signe qui ne trompe pas.»

Éviter le naufrage

Le contraire aurait été étonnant. C'est que la boîte à Larry Page, cofondateur de Google, a, cette fois, mis le paquet pour éviter de battre en retraite sur le théâtre des opérations. Début 2010, alors que sa sauce Buzz ne prend pas, la multinationale créé un groupe de travail secret baptisé Emerald Sea, en référence à l'oeuvre picturale du peintre américain Albert Bierstadt qui met en scène... un naufrage.

À sa tête: Vic Gundotra, 43 ans, ancienne huile de Microsoft qui a bossé, entre autres, sur Windows Live, un portail intégrant différents produits de la maison Gates, avant d'être débauché par Google en 2007. Sa mission: s'assurer que le mât à la dérive du navire représenté sur la toile de Bierstadt, dont une réplique a été installée au 4e étage du siège de Google, où le groupe chargé de développer le volet réseau social du géant a installé ses ordinateurs, ne soit pas celui de Google, mais bien celui de Facebook.

L'histoire est racontée dans les pages de In the Plex: How Google Thinks, Works and Shapes Our Lives (Simon & Schuster) de Steven Levy. Elle souligne du même coup l'urgence ressentie aujourd'hui par Google à trouver ses marques et d'imposer sa personnalité dans l'univers des réseaux sociaux pour ne pas passer à côté de la manne financière que pourrait rapidement générer ces outils qui sont en train de révolutionner les rapports entre humains.

Depuis les derniers mois, ces mondes de blabla, d'échange de photos, d'étalage de nos positions géographiques et de partage d'informations montrent leur véritable visage. L'espace privé et convivial où la socialisation se fait en mode binaire serait en train de muter en base de données de consommateurs auxquels les marques et grandes entreprises rêvent aujourd'hui de s'adresser, de façon ciblée, précise, en exploitant les interrelations électroniques des internautes.

La déferlante de pub annoncée dans ces espaces fait même miroiter des milliards de dollars pour les entreprises comme Facebook, qui vont encadrer et encourager cette mutation sociocommerciale. Google veut sa part du gâteau et compte sur son Google+ pour y arriver.

Des amitiés en cercle


Gundotra et son équipe n'avaient donc pas le droit à l'erreur. Leur Google+ agit où ça fait mal pour Facebook, en proposant par exemple un système d'amitié numérique non plus fondé sur la réciprocité et la masse, comme dans Facebook, mais sur des cercles qui permettent de distinguer son entourage comme dans la vraie vie: avec un cercle pour les membres de sa famille, un pour ses amis proches, un pour les connaissances, un pour les collègues de travail, un pour les copains du club de voile... avec qui l'on n'a pas forcément envie de partager les mêmes informations, photos, confidences.

L'outil intègre aussi un système de vidéobulles qui permet de tenir des vidéoconférences à plusieurs, histoire de mettre un peu d'humanité dans des communications de plus en plus dématérialisées. Il offre aussi un moteur de recherche d'informations liées aux intérêts des membres, facilitant les échanges entre eux, et surtout se prépare à développer sa dimension commerciale de manière beaucoup plus ouverte que semble vouloir le faire Facebook actuellement.

«C'est beaucoup plus clair», reconnaît Nichole McGill, qui voit dans Google+ un réseau qui a réussi à faire converger les avantages de Facebook, Twitter et LinkedIn — un réseau social à saveur professionnelle — en un même lieu. «La division entre les comptes personnels et les comptes commerciaux va aussi limiter la confusion. La publicité ne fait pas partie de l'ADN de Facebook, qui est né dans un contexte universitaire. Pour les usagers, c'est un peu comme si on mettait de la pub sur les ondes de la radio de Radio-Canada. Google+ ne devrait pas être victime de cette perception.»

L'indice américain de satisfaction des consommateurs tend d'ailleurs à le confirmer. Au jeu des perceptions, Google jouit actuellement d'une opinion favorable de la majorité des internautes questionnés par ForeSee, qui gère cet indice. En juillet, l'indice était catégorique: «Google est la compagnie qui a l'indice de satisfaction le plus élevé, Facebook celle qui a l'indice le plus bas.» Le géant est en train de dévoiler un pied d'argile.

Dans ce contexte, l'arrivée de Google+, tout comme le bruit qu'il génère dans la sphère numérisée de la condition humaine, est donc prise très au sérieux par Facebook qui, tout en retardant encore et toujours son introduction en Bourse, pourrait voir sa valeur, évaluée actuellement à près de 100 milliards de dollars, être minée par l'arrivée dans l'écosystème d'un concurrent trop sérieux.

Le 5 juillet dernier, Mark Zuckerberg a d'ailleurs décidé d'ouvrir un compte dans le nouveau réseau social de Google. Histoire d'observer l'ennemi de l'intérieur. Paradoxalement, il en est devenu à une vitesse vertigineuse le membre le plus populaire avec, en date d'hier, 389 765 abonnés, soit 160 000 de plus que Larry Page. Mi-juillet, Zuckerberg a également ordonné la fermeture d'un compte Facebook tenu par Michael Lee Johnson, un programmeur qui avait eu la mauvaise idée d'y lancer un appel à ses amis de le suivre sur Google+. Un non-respect de la politique d'utilisation de Facebook, selon le grand patron du réseau qui, jour après jour, semble finalement prendre conscience que la bataille engagée par la multinationale de la recherche contre son monopole est désormais sérieuse, même si son issue, à l'image de bien des combats en ces lieux, est difficilement prévisible.

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