L'art de taper dans la fourmilière

Patrick Beauduin, directeur général de la radio de Radio-Canada, et Anne Sérode, directrice de la Première Chaîne, dévoilaient hier matin la grille estivale de la Première Chaîne de Radio-Canada, disponible sur le site radio-canada.ca. La paire est en poste depuis moins de six mois, et sa grande mutation est en marche. M. Beauduin a répondu hier matin aux questions des journalistes. Propos rapportés par Stéphane Baillargeon

Comment avez-vous préparé cette mutation et comment réagissent les employés aux coups de pied dans la fourmilière?

Quand je suis arrivé à Radio-Canada, j'ai passé quatre mois à rencontrer tous les employés de la radio de la Première Chaîne et d'Espace musique, en petits groupes. Ce que vous voyez comme évolution de la grille ne vient pas de la direction. La grille vient des employés. Ils ont compris que la radio devait évoluer et ils la font évoluer. Quand vous avez plus de soixante projets déposés par les employés, ce ne sont pas eux qui se font taper dans la fourmilière. [...] Vous savez combien de projets rentraient par année [autrefois]? Pas plus de dix. Ça vous donne un ordre de grandeur de l'enthousiasme. Il y a plein d'expériences cet été, et elles ont été inventées par les employés. On a discuté avec eux, sans imposer de formats aux émissions. [...] Les employés ont vu l'opportunité d'exister de manière différente. Anne a présenté la grille à l'ensemble des employés et ils sont enthousiastes. On peut niaiser sur le fait qu'il y a une certaine langue de bois. On peut dire que c'est très difficile de faire bouger une institution. La seule chose que je demande, c'est de la créativité et de l'indulgence. Je pense que, depuis six mois, les employés se rendent compte qu'on peut bouger à Radio-Canada.


D'où vient cette capacité d'ouverture de la part d'un patron?

J'ai toujours fonctionné comme ça depuis des années. J'ai été invité à parler de l'évolution du leadership à l'émission Second regard. Dans les entreprises de créativité, la seule chose qu'on a à faire, c'est de gérer de l'humain. Dans mon ancien métier, en publicité, je gérais de l'humain. Je continue à Radio-Canada. Ça fait partie de ma culture dans le travail. [...]

Cette radio, il faut être sincère, c'est pratiquement la seule que j'écoute depuis que je suis au Canada, depuis 17 ans. C'est ma préférée et je ne pensais pas un jour m'y retrouver. Mon écoute était attentive et mobilisée. Je l'avais aussi connue comme chroniqueur puisque Marie-France Bazzo m'a impliqué dans ses émissions pendant près de six ans, puis après Christiane Charette. [...]. Quand je suis arrivé ici il y a six mois, je ne suis pas arrivé sans informations et un minimum de réflexion par rapport à Radio-Canada.

L'autre point bon à savoir, c'est que ça fait trente ans que je vis dans les médias et qu'un de mes petits jardins me permet d'enseigner l'histoire de la société de consommation et des médias à HEC Montréal, depuis plus de dix ans. C'est une passion: essayer de comprendre ce qui s'en va et ce qui s'en vient au niveau des plates-formes et des médias. À l'évidence, réfléchir à la radio en 2011, on ne peut pas le faire sans considérer les autres plates-formes, ce qu'elles sont, ce qu'elles deviennent, et en cela en quoi la radio peut continuer à avoir une offre exceptionnelle et je dirais unique dans le cas de Radio-Canada. Voilà aussi pourquoi j'étais extrêmement heureux de revenir ici.

Vous avez dévoilé votre première grille complète. Allez-vous poursuivre le processus de renouveau à l'automne?


Comme je l'ai expliqué aux employés, l'évolution de la radio sera lente. Cette évolution ne peut pas se faire simplement chaque automne. La grille d'été est une grille que j'ai clairement annoncée comme une grille de recherche et développement. Il y aura sûrement des «plantages». Il y aura, on l'espère, des réussites. Et c'est sur ces réussites que nous allons bâtir l'évolution de cette radio. Pour nous, avec Anne Sérode, l'idée n'est pas simplement de changer un animateur ou une animatrice. Ce n'est pas ça changer la radio, la faire évoluer. Il faut aller en profondeur pour voir quels sont les contenus à réinventer à travers l'animation, la mise en ondes, une certaine stylistique. La grille d'été résonne bien à ce niveau. On y sent une certaine insolence. On entend de nouvelles voix. C'est un peu à travers cette recherche et [ce] développement que nous allons travailler la grille d'automne. Cet automne, il y aura encore de nouvelles choses, sans inventer pour inventer.

Que préparez-vous pour l'automne à la case horaire de 9h à 11h du matin, en remplacement de Christiane Charette?


Le 9 à 11 est un créneau extrêmement important. On va faire les choses correctement. Il y a foule au portillon parce que les amateurs de cette émission sont très nombreux. Avec Anne, on fait donc des pilotes. Le but d'un pilote, c'est de comparer avec un autre pilote. On vérifie, on apprend. Est-ce que la voix, le ton conviennent? Quand Marie-France Bazzo est partie et que Christiane Charette l'a remplacée, elle a fait du Charette, pas du Bazzo. Il est clair que la personne qui va prendre la relève doit être bien dans ses chaussures. Il n'est pas question de lui dire: «fais-nous du Christiane Charette». On se donne l'été pour venir avec une proposition intéressante. On a l'embarras du choix. Au mois d'août, quand on va annoncer la grille d'automne, vous serez informés.

Vous avez déjà éliminé des reprises en soirée. Allez-vous continuer dans cette tendance à l'automne?

Il faut récompenser nos auditeurs de choisir la radio. Le principe de la reprise, oui, mais avec une approche plus précise, [...] un petit peu plus chirurgicale. Il faut aussi légitimer les choix qui ont été faits par les coupures assez drastiques dans les budgets. Je voudrais que les gens, chaque fois qu'ils ouvrent la radio, tombent sur quelque chose qu'ils ne connaissent pas. On essaie aussi de faire de la radio différemment. L'émission Carnets d'Amérique a des budgets de déplacement ridicules. Jean Fugère et Marie-Louise Arsenault se déplacent en voiture et dorment dans des motels.

Quelle place aura la littérature maintenant que Vous m'en lirez tant disparaît?


Cet automne, il y aura plus de littérature et plus de culture à Radio-Canada. Cet été, vous avez deux émissions qui sont clairement littéraires, Carnets d'Amérique et On aura tout lu. Notre effort s'inscrit dans la durée.

Allez-vous vous attaquer à la programmation de la deuxième chaîne, Espace musique, brasser de ce côté?

Je n'aime pas beaucoup cette expression. Je veux être plus nuancé. Steve Jobs d'Apple vient d'annoncer iCloud, soit la mise à disposition de la musique de manière personnalisée à distance. L'industrie de la musique est en mutation majeure. La radio musicale se doit d'être mise à jour. Je n'aime pas le ton de remise en cause. Ce n'est pas du tout ça. C'est une adaptation d'Espace musique et, dans les jours qui viennent, nous aurons une annonce assez majeure par rapport à notre présence dans le monde de la musique à Radio-Canada, toutes plates-formes confondues.

Combien de temps faudra-t-il pour parachever la grande mutation de la radio de Radio-Canada?

On est dans une mutation globale des médias qui fait qu'on ne peut travailler sur un horizon de dix ou quinze ans. Je dirais que, globalement, l'évolution en cours de la chaîne se fera sentir sur trois ans. L'été nous aide beaucoup à tester des hypothèses de travail à long terme.

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