Révolution numérique à La Presse
La direction du navire amiral de Gesca propose d'abandonner l'impression graduellement, au profit d'une version dématérialisée. La clé de ce «plan iPad»: la tablette numérique de lecture, qui serait fournie gratuitement avec un abonnement.
Selon les informations obtenues par Le Devoir, tout le système repose sur les tablettes électroniques, d'où le surnom de «plan iPad» donné par certains au projet. Le journal et son partenaire des télécommunications fourniraient gratuitement l'ardoise d'Apple (ou l'équivalent) et un logiciel applicatif (un «app») en échange d'un abonnement de trois ans à son édition électronique.
En gros, le modèle d'affaires reproduit donc celui qui est en vigueur dans la téléphonie. Là, une compagnie fournit plus ou moins gratuitement un téléphone moyennant un abonnement de service. Les pourparlers seraient commencés entre La Presse et Bell Canada (BCE) pour la mise en oeuvre du plan iPad.
Tous les journaux cherchent le nouveau modèle d'affaires miracle, et La Presse croit l'avoir trouvé.
La haute direction a commencé à rencontrer les cadres, les chefs syndicaux et les employés au cours des dernières semaines pour leur expliquer la grande transformation. De nouvelles rencontres sont prévues au cours des prochaines semaines.
Guy Crevier dirige les assemblées. M. Crevier est éditeur de La Presse et président de Gesca, la filiale de Power Corporation, propriétaire du journal et de six autres quotidiens québécois. Devant certains groupes, l'éditeur a étendu l'horizon de la mutation à trois, voire cinq ans. Plus de sept millions de dollars auraient déjà été injectés dans la préparation de cette révolution.
Une chose semble sûre: l'abandon du papier ne se fera pas d'un coup. Plusieurs sources parlent cependant d'une réduction radicale et rapide passant d'environ 200 000 exemplaires actuellement, les jours de semaine, à 75 000 exemplaires quotidiens.
Conditions de travail à renégocier
Ces transformations radicales auront évidemment de profonds impacts sur les conditions de travail à renégocier avec tous les employés. Le journalisme ne sera plus le même. Le modèle du site Internet l'emportera, avec une production rapide, si possible multimédia, et une diffusion instantanée.
Les emplois de distribution semblent le plus immédiatement menacés. «On sera les plus touchés, c'est évident», dit Gilles Duguay, président du Syndicat de la distribution de La Presse. Il est en vacances et participera à une rencontre sur le plan de refonte, à la fin du mois. «Je reste convaincu que le papier va demeurer, mais il va diminuer, c'est évident. On va peut-être tomber à 75 000 exemplaires. Mais on va devoir attendre encore pour comprendre les impacts concrets du projet.»
Son collègue Yves Berthelot demeure prudent et optimiste. «On a deux ou trois ans devant nous avant la mise en application du plan», dit le président du Syndicat de la préparation de La Presse. «Les propositions vont probablement affecter le travail, mais notre employeur a fait preuve de respectabilité au cours des dernières années. On peut penser qu'il démontrera le même respect en cas de mises à pied.»
La direction du journal n'a pas souhaité discuter le détail de son plan. «Comme de nombreux quotidiens à travers le monde, La Presse désire exploiter les possibilités qu'offrent les nouvelles plateformes numériques pour diffuser ses contenus, a écrit au Devoir Caroline Jamet, vice-présidente, communications de La Presse. Au cours de la dernière année, nous avons d'ailleurs mis en place une équipe exclusivement dédiée au développement de notre projet de virage numérique. C'est un projet important pour l'avenir de l'entreprise, qui comporte de nombreuses étapes, tant techniques qu'opérationnelles. À ce stade-ci, nous ne sommes pas assez avancés pour déterminer quand ce virage pourra être complété. Quoi qu'il en soit, nous avons un contrat d'impression de plusieurs dizaines de millions de dollars avec Transcontinental, qui vient à terme en 2018.»
Le contrat d'impression signé en 2003 a nécessité la construction d'une usine dans l'est de l'île de Montréal. L'entente de 15 ans est évaluée à environ 60 millions de dollars par année. L'impression et la distribution totalisent généralement plus de la moitié des frais d'exploitation d'un journal. Ces frais incompressibles disparaîtraient avec le plan iPad.