Le Devoir, c'est moi - Le mentor de papier

Faire partie du Devoir, c'est y travailler, l'appuyer, le lire assidûment. De cette communauté, qui s'est construite depuis 100 ans, nous avons retenu quelques portraits. D'ici la fin de notre centenaire, nous vous présenterons chaque semaine un lecteur, une lectrice, du Québec comme d'ailleurs, abonné récent ou fidèle parmi les fidèles. Cette semaine, un homme qui profite de toutes les richesses du journal.
L'endroit a des airs de caverne d'Ali Baba: outre les tableaux sur les murs et la bibliothèque qui pourrait occuper l'étage, s'entassent au sous-sol de singulières archives. Quelque 1500 chemises, remplies de fragiles coupures de journaux remontant jusqu'aux années soixante, occupent de modestes classeurs tel un trésor oublié. Nous ne sommes pas au Moyen-Orient, mais bien... à Shawinigan.C'est dans ce cadre que vit Jean-Noël Pronovost, «ramasseux» dans l'âme et ancien professeur. Il a tout enseigné: histoire, biologie, littérature, art dramatique... Foncièrement curieux, il a commencé tout jeune étudiant à éplucher Le Devoir et autres imprimés, motivé par un «amour de la connaissance» hors du commun. Quarante-sept ans plus tard, il lit, découpe et collige toujours les articles de ce qu'il appelle son «mentor».
«Le Devoir a été notre source de documentation et nous a maintenu l'esprit par rapport aux penseurs et aux gens qui réfléchissent sur différents sujets», explique, enflammé, l'homme à la longue barbe. C'est avec sa femme Gaétane, jadis professeure de littérature, qu'il a bâti cette impressionnante collection. Classées par thèmes et, surtout, par auteurs — Albert Camus, Marie-Claire Blais, Anne Hébert... — les coupures sont à 90 % tirées du Devoir. «Un trésor qui va finir sur le bûcher de Jeanne d'Arc», se désole M. Pronovost.
Ardent défenseur des causes qui l'attisent, Jean-Noël Pronovost a profité de la venue du Devoir dans sa demeure pour écrire sept pages sur ce journal qu'il compare... à une roche géologique. «Il y a, comme Lévi-Strauss disait, une sorte de cosmos dans un grain de sable dans Le Devoir», résume-t-il.
Nourri surtout par les pages Idées et les éditoriaux, l'homme admire le langage «littéraire» du journal. «L'écriture au Devoir est d'une richesse! Les gens connaissent leur grammaire, ils ont du style. J'aime l'écriture coup-de-poing.» Deux des sept pages manuscrites s'intitulent d'ailleurs «Avoir la plume», un hommage à une vingtaine de journalistes. «J'aimerais avoir la plume de Josée Blanchette pour sa truculence et sa fougue engagée», écrit-il. Ou celle d'Odile Tremblay «pour son enthousiasme culturel et communicatif».
Sans surprise, aucune trace d'un ordinateur dans la maison. «La technologie n'est pas rentrée ici», assure Jean-Noël Pronovost, appuyé par sa femme — laquelle écrit ses récits de voyage, qui frisent les 600 pages, à la main s'il vous plaît. Et ces voyages sont nombreux: Birmanie, Yémen, Papouasie... Convaincu qu'«un prof ne doit pas enseigner ce qu'il y a dans les livres», Jean-Noël Pronovost a profité de ces périples pour remplir un peu plus son baluchon.
Propager la connaissance
Car ce passionné de littérature ne peut s'empêcher de partager ce qu'il découvre, dans la vie en général, mais dans les journaux en particulier. «Mon grand point avec Le Devoir, toute ma vie, ç'a été de faire du prosélytisme», explique l'ancien professeur. Le poète Gatien Lapointe, son grand ami, le taquinait même à ce propos. «Il me disait: "Y'a-tu quelque chose du Devoir que t'as à nous lire?"», s'esclaffe M. Pronovost, que le bon vieux temps fait sourire.
Fidèle à lui-même, le retraité photocopie désormais chaque semaine des articles du Devoir qu'il distribue à ses confrères du groupe Mercam — un néologisme issu de «mercredi matin» — qui rassemble des retraités de Shawinigan. Lorsque, chose rarissime, aucun invité n'est à l'ordre du jour, ce sont les articles du Devoir qui lancent les débats — sur le bilinguisme, les gaz de schiste... «Pour que les gens soient sensibilisés», précise M. Pronovost.
C'est André-Jean Bordeleau, un autre grand ami, abonné au Devoir et homme engagé s'il en est un, qui a fondé le groupe Mercam en 1998, motivé par la «promotion des bonnes idées». Voilà 12 ans que la vingtaine de membres reçoivent des gens de tout acabit le temps d'un déjeuner. Éleveur de cochons, restaurateur d'églises, spécialiste en tango... Le groupe va même jusqu'à se déplacer aux quatre coins de la Mauricie lorsque l'invité s'y prête.
«C'est un enrichissement que les gens viennent chercher», explique Jean-Noël Pronovost, qui constate que «quelque chose s'ouvre» lors de ces rencontres. M. Bordeleau et lui mettent d'ailleurs beaucoup d'énergie à dénicher chaque semaine de nouvelles perles. Mais une chose est claire: s'il n'y avait plus d'invités à Mercam, si la rencontre perdait sa vocation de découverte, M. Pronovost passerait son tour. Et on devine pourquoi.